Le site des Moulins de France
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En nous intéressant simultanément à la genèse de la mouture et à l’archéologie en général, ces deux centres d’intérêt se sont rejoints autour du charronnage ou art de la roue et de son moyeu, lorsque nous abordâmes la protohistoire.
Depuis nous nous interrogeons à propos de l’apparition de cette pièce mécanique que l’on appelle anille ou fer à moulin, et qui fut selon nous une révolution technologique qui bouleversa en son temps les performances en matière de rendements pour l’obtention de la farine.

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Roues solaires à rayons internes

Possibles représentations :

Jean ABELANET dans son ouvrage Signes Sans Paroles, chez Hachette 1986, qui répertorie l’art rupestre de toute l’Europe occidentale, pourrait bien avoir sans le savoir retrouvé les premières représentations des meules circulaires dont deux avec logement d’anille. Représentations associées à d’autres représentations agraires courantes depuis l’âge du bronze.

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Bloc gravé de Gorback

En effet il classe dans sa quête de vestiges gravés un grand nombre de signes en forme de roues solaires à rayons internes, parfois comme à Saint Paul Trois Châteaux avec un cercle central pouvant représenter une meule et son oeillard* ou encore
une excavation circulaire entourée d’un cercle en creux faisant ressortir un disque barré d’un trait transversal, bloc gravé de Gorback, County Cork (Irlande). Enfin dans le val Camonica (Espagne) un signe ibérique anthropomorphe associé à un cercle dont le centre est m a t é r i a l i s é par un rectangle.
* Trou qui perce la meule tournante, et dont l’évidement est suffisamment important pour permettre le passage du produit à moudre.

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Val Camonica

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photo 5 : moulin gaulois à sang avec anille / pivot – photo A.Mazeau

Origine de la fausse rumeur :

En compulsant l’ouvrage culte “Historique de la meunerie et de la boulangerie depuis les temps préhistoriques jusqu’à l’année 1914”, édition Le chancelier 1948 ; écrit par le premier professeur de laboratoire de l’école française de meunerie Marcel
ARPIN, on peut lire page 106, “l’invention de l’anille ne date que du XVIII ème siècle…”.

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photo 1 : meule gauloise ouverte – photo A.Mazeau

Paradoxalement page 20 du même volume Fig 11 est présentée une paire de meules gallo-romaine trouvée à Clermont-Ferrand où la catillus “de dessus” comporte le logement caractéristique d’une anille alors que la méta “de dessous” est percée pour recevoir un pivot, page suivante Fig 12 une meule courante gauloise du musée de Saint-Germain-en-Laye, piquée et rayonnée comporte un logement identique mais cette fois côté intérieur. Preuve irréfutable de la suspension ajoutée au guidage en rotation qui sont  les caractéristiques même de la novation étudiée ici.

Première preuve écrite :

Vitruve, architecte romain (1er siècle avant notre ère), accompagne les légions en Gaule et en Espagne, et dans son traité d’architecture “De architectura libri decem”, explique ; “ … qu’une roue entraîne un axe en fer en forme de hache, pour actionner la meule de dessus…”. Il faut lire que le gros fer ou axe de rotation représente le manche et l’anille traversée en son centre par l’extrémité carrée avait la forme d’une hache à double tranchant, contrairement à la logique de l’outil contemporain servant de comparaison, dans un plan horizontal.

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Axe en fer en forme de hache

Bien d’autres preuves évidentes de l’antériorité de cette invention par rapport au XVIII ème siècle ont jalonné notre longue quête d’informations sur l’histoire du métier de meunier, la dernière en date étant la découverte relatée par “Histoire médiévale” n° 47, à Chalon-sur-Saône, d’une meule en grès comportant une empreinte caractéristique coté interne en forme de X, datée des environs de 760 de notre ère par Daniéla Gräf spécialiste des moulins sur bateaux.

Limitons-nous volontairement aux preuves archéologiques énoncées cidessus pour nous consacrer à une description du système :

D’abord nous vous proposons la définition suivante de l’anille.

C’est une pièce métallique, matérialisant l’un des diamètres du trou central appelé oeillard de la meule de dessus. Ce “fer à moulin” est incrusté et scellé. Sa fonction primordiale est de transmettre la rotation du gros fer à la tournante.

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Papillon anille

Au centre de l’anille, des o r i g i n e s jusqu’au X ème siècle, est percé un trou carré, recevant l’extrémité du gros fer de même section appelée “papillon”. Il faut voir là le premier entraînement en rotation permettant de régler l’écartement des meules par translation verticale.

Plus tard les tournantes s’alourdissant, le trou central du fer à moulin sera circulaire et borgne. Il recevra le “grain ou téton”, extrémité de l’axe de rotation ou “gros fer”. Le progrès par rapport au système précédent sera de mettre la meule en équilibre, dans le but de réduire son usure. Le réglage est assuré par le système dit des leviers de la trempure ; qui produit l’écartement ou le rapprochement des meules par action sur la mobile en la soulevant ou en la laissant descendre par l’anille. Le mouvement de rotation, est transmis par cette dernière qui est alors chevauchée par une chape en forme de U clavetée sur l’extrémité du gros fer, qui a pour rôle de faire tourner la courante.

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photo 2 : gros fer anille en équilibre – photo A.Mazeau

Il est à remarquer que sur les moulins à eaux, ce “cavalier” est en dessous et que sur ceux à vent il est en dessus. Ce système d’anille servant de point d’équilibrage de la meule est le plus fréquemment utilisé depuis le XVIIIème siècle jusqu’à nos jours.

Après la démonstration de l’évidence de l’antériorité de la découverte technique majeure du fer à moulin par rapport au XVIII ème siècle nous allons tenter de retrouver le cheminement intellectuel qui a conduit à l’invention de l’anille, par nos expérimentations archéologiques.

Aux origines une molette est mue en translation sur une gisante creusée, contenant le produit à moudre. Nous avons abordé la rotation de la meule de dessus par le moulin Olynthien.

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photo 3 : moulin Olynthien avec axe – photo A.Mazeau

Bref rappel du principe ; la fixe est surmontée par une courante où pour la première fois au mouvement de va-etvient se substitue une semi-rotation. Très vite par la pratique nous déplorons avec ce système le manque de  guidage en rotation qui nuit au bon rendement. Jean ORSATELLI dans Les Moulins, édition Lafitte 1979, nous propose une reconstitution Fig 5 page 14, où l’un des manches se transforme en barre de rotation en s’articulant autour d’un axe vertical cylindrique, fiché dans le plan de la meule réceptrice. Cette intelligente interprétation nous fait entrevoir le premier degré qui immanquablement doit déboucher sur notre invention.

Nous vous proposons de continuer le cheminement. Pour obtenir une rotation complète d’abord furent conçues des pierres tournantes incrustées dans la fixe, le guidage en rotation se faisant par la périphérie n’étant pas des plus pratiques ni des plus fiables.

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photo 4 : moulin berbère – photo A.Mazeau

Puis vint le moulin de type “berbère” :

Bref rappel du principe : Une pierre gisante discoïdale plate avec un trou central dans lequel est fiché un axe en bois qui traverse l’oeillard de la tournante identique à celle de dessous et munie d’une poignée excentrée.
L’inconvénient de l’axe libre dans l’oeillard est qu’il induit une rotation non concentrique, l’utilisateur regrette l’absence d’un système emprisonnant la pierre vers le haut, ce qui est extrêmement pénalisant surtout pour la mouture de graines à forme plus ou moins sphérique tel le froment, et compte tenu du faible poids de l’élément triturateur.

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Moulin ibérique (réf : moudre et broyer, actes de la table ronde de Clermont-Ferrand) sodis : f30456-6

Naturellement vint une astuce qui consiste à peser de son poids sur deux mancherons incrustés diamétralement et à égale distance du centre. Mais l’expérimentation démontre l’impossibilité de faire une rotation complète.
Pour palier à cet inconvénient il suffit de rejoindre par une traverse le guidage central et les deux poignées, en donnant la rotation par l’extrémité débordante de cette traverse. La force est ainsi démultipliée, et le mouvement devient parfaitement concentrique Je prétends qu’ici se trouve un paléosystème d’anille. En effet la mouture circulaire devient alors parfaite, et l’écartement des meules peut être réglé en jouant sur la hauteur du pivot central par un jeu de trous et de goupilles.
Reste alors à résoudre l’inconvénient de l’obligation de pression pour moudre qui peut être résolu par l’utilisation d’une autre goupille au dessus de l’anille.
La pierre de dessus s’alourdit ; il est alors plus facile pour obtenir une bonne rotation et un bon équilibrage d’abaisser le point de suspension et tout naturellement pour ce faire le fer à moulin passe en dessous de la courante, et s’incruste dans la pierre
pour ne pas nuire à la mouture.

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Moulin avec une manivelle “anille” sur le dessus

Arrive la force hydraulique directe par une roue à cuillères simples à axe vertical “rodet hydraulique” -260 avant notre ère, par cette machine la seule façon rationnelle d’entraîner la meule du dessus passe par la combinaison “papillon carré / anille”.

Pour conclure nous pensons que ce sont les paysans de l’âge du bronze qui ont fait tourner les meules de dessus. Les pré-celtes (dont les derniers descendants sont les berbères) qui les ont guidées en rotation par un axe central.
Les gaulois et plus précisément les ibères ont transformé cet axe en pivot et ont relié ce dernier à la meule par une pièce traversière. Les galloromains ont incrusté cette anille dans la partie active des meules et s’en sont servis d’élément de transmission du mouvement.

Et enfin c’est au moyen âge que cet élément central du mécanisme d’un moulin est devenu le point d’équilibrage permettant un meilleur parallélisme, donc une meilleure mouture avec une usure réduite.

Alain Mazeau – Article paru dans le Monde des Moulins – N°8 – avril 2004

Catégories : Histoire

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