J. Mascaró Pasarius (1967) a décrit pour la première fois les « roues de moulin » aux îles Baléares, de la meulière de Punta de Sa Dent (Lluchmajor, Majorque) et ce même auteur, en 1992, a relaté l’existence de 9 carrières de pierres rondes à Minorque, mais a changé son interprétation d’origine. Il a pensé qu’il ne s’agissait pas de meules mais de pierres rondes pour boucher les silos souterrains. Effectivement, la régularité du diamètre, les marques pour y mettre une manivelle et
aussi les volumes d’extraction observés ne permettent pas d‘assurer que la finalité principale de ces pierres ait été de boucher les silos, bien qu’elles aient pu en avoir l’usage éventuel. La datation des meulières a été aussi un problème : jusqu’à l’an 2000, on n’avait trouvé aucun reste de céramique ou de métaux aux environs des premières carrières trouvées par J. Mascaró Pasarius. Ce chercheur a écrit que ce sont des « monuments historiques ».
D’autres auteurs se sont bornés à indiquer que ce sont « des carrières antiques ».
Cette communication veut faire connaître les recherches sur les meules et meulières de l’Île de Majorque, après le travail réalisé à l’Île de Minorque. Ce même auteur a publié dans « Le monde des moulins » (« Les meuliers de l’Île de Minorque » – MdM n° 33, p. 21 à 24). Les données connues jusqu’à 2010, une seule meulière à Majorque, nous ont fait penser que cette situation était due au manque de recherches.
Nous avons commencé la prospection des sites et fait un premier inventaire de 18 meulières (voir fig.1 pour la localisation et l’Appendice pour les détails d’exploitation).
Figure 1. Localisation des meulières de l’Île de Majorque.
La description de chacune des meulières est visible sur http://meuliere.ish-lyon.cnrs.fr/ (chercher « Atlas des meulières européennes », puis cliquer sur « Europe », « Spain », « Iles Balears », et choisir la meulière pour avoir les détails, les images, etc..). À côté de chaque meulière, on peut trouver, entre parenthèses, le numéro de l’Atlas.
Appendice.
Meulières en dépôts éoliens
Les meulières suivantes sont des dépôts éoliens d’âge quaternaire, produits entre les glaciations RISS – WÜRM. Ce sont de petits dépôts (de 5 m jusqu’à 200 m de longueur) qui fossilisent les paléoreliefs d’âge quaternaire de la côte. Elles ont toutes des caractéristiques similaires : les roches exploitées sont des grès coquilliers avec une proportion variable de grains calcaires (de 60 à 92% selon le lieu) et siliceux (de 8 à 40%) de moins d’1 mm de diamètre. Les grains sont très bien agglomérés, arrondis, partiellement recristallisés, sans matrice calcaire ou argileuse, et le ciment est toujours calcaire. On trouve ainsi de petits morceaux de pierre intercalés à la base des zones de dépôt (Appendice). Cala Sant Vicent (582), Cala Figuera (681), Na Brotada – Cala Matzoc (612), Cala Mesquida (681), Calonet del Rei – Portocolom (662) Caló de sa Torre – Portopetro (659), Ses Covetes – Es Trenc (661), Cau de s’arena – Son Telm (685).
Meulières en calcaires pliocèniques
Les matériaux de ces meulières sont des dépôts calcaires, avec une grande proportion de coquilles déposées au Pliocène moyen-supérieur (3,6 à 2,5 Ma), à la zone sud – sud-est de Majorque.
La plus importante de ces meulières, qui peut nous servir de modèle de description, est à Punta de Sa Dent – Es Molar de Cala Pi. , commune de Lluchmajor.
Lat/long/alt: (N 39º21’54 » – E 2º52’17 » – 10 m).
Fiche de l’Atlas des Meulières européennes n° 419.
C’est l’exploitation la plus importante de l’ÎIe de Majorque (figure 2). Le site a une surface de 1600 m2 et d’environ 400 m2 en petites exploitations discontinues autour de la zone principale. L’épaisseur exploitée est variable, de 0,20 à 3,5 m, et le volume de roche traitée d’environ 2000 m3. Les alvéoles ont entre 50 et 195 cm de diamètre, la plupart entre 53 et 66 cm. La taille a été faite avec marteau et burin. Les zones de bonne qualité de roche présentent les marques d’extraction en “nid d’abeille”, pour mieux profiter du matériel (figure 3). Production : environ 10.000 meules.
Figure 2. Meulière. Punta de Sa Dent.
Figure 3. Extraction en “nid d’abeille” et incisions en couronne. Punta de Sa Dent.
D’autres meulières, aussi sur dépôts pliocènes, sont Torre de Cala Pi (622) Cala Beltran (623), Sa Regata – Punta de n’Amer (624).
Meulières en calcaires, dolomies et conglomérats jurassiques
Les matériaux de ces meulières sont des niveaux calcaires, dolomitiques et conglomérats du Jurassique, en une vaste zone, connue comme Serra de Tramontana, d’Andratx à Pollença, et aussí la Serra de Llevant, de Felanitx à Artà. Dans les meulières, on ne trouve pas d’alvéoles parce que l’exploitation a été faite sur des blocs isolés ou arrachés du sol avant la taille.
Les meulières localisées sont à Deià (672), Es Mul•là- Port de Sóller (690), et Artà, sans pouvoir déterminer le site exact, cité par Pascual Madoz (1846-1950). On peut trouver une grande partie de ces meules dans les fermes, comme éléments décoratifs autour des moulins à huile.
Meulières des dépots siliceux
D’après l’observation de nombreuses meules de silex qu’on peut voir dans les fermes de Majorque, on peut supposer qu’elles ont été fabriquées à La Ferté ou bien à Majorque avec des techniques similaires à celle des meules françaises. Ceci nous a conduit à la recherche de sites avec nodules de silex, recherche initiée par Guillem Mas Gornals (Mas et al, 2014) et localisés dans la zone comprise entre Son Soler-Son Mesquida et Son Maiol, dans les communes de Campos et Felanitx, sur environ 340 hectares.
L’exploitation était à ciel ouvert et les blocs de sílex étaient transportés jusqu’à Felanitx où on assemblait les meules avec une technique similaire à celle de La Ferté. L’exploitation était une activité complémentaire des travaux des paysans (communication personnelle de Joan Mestre et Guillem Mas). On peut voir des irrégularités du sol de ces exploitations, sur les photos aériennes de 1956.
Utilisation des meules
La plupart des meules obtenues dans les meulières des dépôts quaternaires et calcaires pliocènes sont des meules manuelles rotatives de 54 à 56 cm de diamètre (figure 3) pour l’obtention de farine ou de grains décortiqués.
Dans les meulières des dépôts jurassiques, on trouve des meules de 90 à 190 cm, cylindriques et coniques, pour faire de la farine et de l’huile. (figures 4 et 5).
Figure 4. Meules à farine et à huile. Ferme Torre de Canyamel.
Figure 5. Meule conique à huile. Port de Sóller.
Les exploitations de sílex peuvent donner des meules monolithes ou assemblées pour produire de la farine (figure 6 et 7). Celles de plus haute qualité, en quartz, peuvent servir aussí pour l’alimentation animale et décortiquer des grains. Pour faire du ciment, on utilise des matériaux de plus basse qualité.
Figure 6. Meule à farine en silex, assemblée à Felanitx (Restaurant Sa Farinera).
Figure 7. Meule siliceuse à ciment assemblée à Felanitx (Restaurant Sa Farinera) .
Techniques d’extraction
L’étude a permis d’observer les différents stades du processus d’extraction.
Un premier tracé avec un compas à pointes, suivi d’une taille en V ouverte, puis levée de la pierre avec des incisions tous les 8 à 10 cm environ sur la meule (figure 3). Les meulières présentent des exploitations superposées pour la plupart d’entre elles. La meulière de Punta de sa Dent a des colonnes d’extraction tout à fait verticales et les extractions sont poursuivies aux environs de la meulière principale, en cherchant d’autres sites aptes pour ouvrir de nouvelles carrières.
Dans les meulières jurassiques et siliceuses, l’extraction était en blocs et le finissage postérieur. Les ateliers de Juan Gomila, Urrea et Treset, à Felanitx, ont été les principaux producteurs de meules jusqu’à 1960 (figure 8).
Figure 8 : Publicité de l’atelier de Joan Gomila.
Considérations sur leur datation
Dans les archives, on a trouvé seulement la référence à ces meulières de Pascual Madoz (1846-1950). Les auteurs Rosselló Bordoy (1958) et Mascaró Pasarius (1967) se référant à la meulière de Punta de sa Dent, indiquent que « pour le moment, on ne peut pas dater l’exploitation ». Dans les fouilles des sites occupés jusqu’au Moyen-Âge, on a trouvé des meules comme celles des dépôts quaternaires et pliocèniques, mais on ne peut qu’estimer la datation entre le VIIIe et le XIIIe siècle. Les meulières des matériaux jurassiques ont été exploitées jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les extractions de silex pour les meules de Son Soler, Son Mesquida et Son Maiol ont été actives jusqu’en 1954, mais certaines exploitations
ont fourni des matériaux pour réparations jusqu’à la fin de 1960.
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Joaquin Sanchez Navarro – Article paru dans le Monde des Moulins – N°54 – octobre 2015
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