Le site des Moulins de France
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Préambule
Voilà un sujet peu habituel sur lequel il faut néanmoins savoir porter le débat : comment faire valoir votre propre point de vue lorsqu’une administration pointilleuse s’apprête à user à son profit de cette arme qu’est l’argument sémantique ? Comment désamorcer une situation qui avait toutes chances de devenir conflictuelle, en la retournant, comme dans l’exemple qui suit.

Cet article a pour objet de mettre en garde les propriétaires de moulins quand ils sont la cible de l’administration sur une dérive que nous qualifions de sournoise, aboutissant à des abus de droit.
La vigilance est toujours de mise face à une administration tatillonne, encline à interpréter les textes à sa façon, quand ce n’est pas à chercher à les vider de leur substance, comme lors de la traduction de certaines lois en règlements. Lorsque les textes, qu’ils soient ambigus ou non, sont sujets à une interprétation partisane de la part d’une administration pour vous imposer quoi que ce soit de contraire au droit, vous devez être prêts à contester la décision et à user de la procédure contradictoire inscrite dans la loi, dont l’administration omet couramment, soit par négligence, soit sciemment, de vous informer.
Mais, parfois, des textes ont été volontairement rédigés par le législateur en laissant place à une marge d’interprétation, à l’appréciation du juge, au cas par cas, lorsqu’un contentieux se présente. Par exemple dans le L-214-17, au sujet de la notion de transport suffisant des sédiments, la rareté de données scientifiques pertinentes et faisant l’objet d’un consensus a motivé un certain flou dans la quantification de ce transport.
Nous relatons ici une expérience vécue, concernant un moulin ariégeois, à Bordes-sur-Lez.

État des lieux

Ce moulin, fondé en titre, se situe dans un contexte patrimonial remarquable, de par sa construction et la diversité des usages qui lui ont été dévolus au fil du temps (moulin bladier, à huile, foulerie, carderie, scierie), mais aussi par son implantation dans un magnifique cadre montagnard, en rive opposée à une église romane exceptionnelle sur les plans historique, architectural et ornemental (fresques du XIIe siècle récemment découvertes). Le moulin, toujours en eau, participe évidemment à l’attrait paysager, que les récentes injonctions administratives contestables auxquelles il est en proie pourraient mettre à mal.
Selon un bail à titre gracieux, consenti à la société de pêche locale, une pisciculture a été installée dans le canal d’amenée sans autorisation préalable. Les compléments d’information demandés n’ont pas été fournis. La situation n’a jamais fait l’objet d’une régularisation administrative, ni pour la prise d’eau, ni pour l’activité piscicole. Les installations sont maintenant abandonnées par l’actuelle société de pêche qui en a avisé la DDT (mais pas les propriétaires !). Elles consistent en un aménagement sommaire de la prise d’eau et un équipement léger du canal en petits biefs successifs isolés par des vannes métalliques sur glissières.

Situation administrative actuelle

Près de 40 ans après leur création, suite à cet abandon, les propriétaires ont sollicité le SPEMA pour connaître la situation légale de leur seuil, partiellement reconstruit par la société de pêche, car le seuil d’origine avait été détruit par une crue. Il leur a alors été dit, lors d’une visite sur place, que l’existence de la pisciculture et de la prise d’eau non autorisées leur faisait perdre leur droit fondé en titre, avec, pour conséquence, la condamnation de la prise d’eau, donc de l’alimentation du moulin.
Dans le compte rendu écrit de la visite, la DDT précise que ce droit pourrait être « réactivé » sous réserve de l’effacement des installations piscicoles effectuées sans autorisation dans le canal, et de la reprise de l’usage initial des aménagements.

Trois options sont alors offertes aux propriétaires :

  1. renoncer à faire valoir le droit d’eau et condamner la prise d’eau (ce qui conduira à l’assèchement du canal) avec éventuellement un démantèlement du seuil ;
  2. remettre en exploitation les installations et ouvrages existants fondés en titre1, et, dans ce cas, établir un porter à connaissance, avec tous éléments d’appréciation (caractéristiques du moulin fondé en titre…) ;
  3. demander un nouveau droit pour dériver la rivière et déposer un dossier loi sur l’eau en application de l’article R 214-1 du code de l’environnement. En fonction du niveau de prélèvement opéré, la demande pourra relever de la procédure d’autorisation ou de déclaration.

Pour les options 2 et 3, le dossier devra comprendre en sus, les éléments contenus dans l’arrêté du 11 septembre 2015 fixant les prescriptions techniques générales applicables aux installations ou ouvrages soumis à autorisation ou déclaration au titre de la loi sur l’eau.
Suit une liste des pièces à produire et des conditions à remplir, propres à décourager tout un chacun !

Le désarroi des propriétaires, à qui on avait déjà annoncé qu’en raison de la complexité (?) du dossier, mieux valait passer par un cabinet d’expert (entre 7 000 et 15 000 euros !),
les a amenées à faire appel à l’Association des Amis des Moulins de l’Ariège (AMA) et à la FDMF.
Ainsi, si de telles mésaventures vous arrivent, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre association locale qui vous guidera utilement. Le premier conseil est de demander systématiquement, comme cela a été fait, un rapport écrit de toute entrevue.
Les propriétaires du Moulin de Bordes ont répondu à ce courrier en rapportant leur version de la visite de la DDT, dont le compte-rendu rédigé par ses agents ne reflétait pas fidèlement la teneur, et surtout ils ont contesté la prétendue perte de leur droit fondé en titre, avec une argumentation solide.
Les propriétaires ont bien sûr rejeté l’option 1,
ce que vous devez faire systématiquement si on vous la propose ou si l’on tente de vous l’imposer, que ce soit par intimidation ou désinformation.
Elles ont fait valoir qu’il convenait de ne pas assimiler la réglementation conduisant au régime de la déclaration ou de l’autorisation, qui concerne l’activité de la pisciculture à celle qui relève du droit fondé en titre, qui concerne le moulin et ses propriétaires ; elles ont rejeté les options 2 et 3 qui, toutes deux, présupposent la perte du fondé en titre (suite à une éventuelle décision préfectorale pour l’option 2).
Elles ont relevé de nombreuses ambiguïtés au niveau de la rédaction du compte-rendu. Cette analyse est un aspect très important dans la préparation de tout dossier de réponse à l’administration, qui peut vous apporter des éléments dans le cadre de votre contestation ; au besoin faites-vous aider, car l’exercice n’est pas simple, mais pas nécessairement par un avocat dès ce stade.

La DDT a répondu, sans s’exprimer sur l’amalgame à l’origine de son interprétation conduisant à la perte du droit fondé en titre, ni lever les ambiguïtés. Mais elle a alors mis en avant une nouvelle notion, qui n’apparaissait nullement dans son compte-rendu, afin de réaffirmer la perte du droit.

C’est cet aspect, d’ordre sémantique, que nous allons maintenant développer.

La DDT évoque deux cas menant à la perte du droit fondé en titre :

  • perte en cas de ruine des ouvrages entraînant l’impossibilité de mobiliser la force motrice de l’eau : ce cas ne correspond manifestement pas aux installations du Moulin de Bordes, et à juste titre, la DDT ne le retient pas.
  • perte en cas de changement d’affectation des ouvrages principaux. : c’est le cas maintenant retenu ; il s’agit là du point majeur de désaccord. Dans le CR précédent, seule figurait la notion de changement d’usage2.

Mais précisons tout d’abord deux points
(§ 1 et 2), et les suivants (de 3 à 7).

1. Qu’est-ce qu’un moulin ?
L’Homme a besoin d’énergie. Très tôt, il a cherché à utiliser les sources d’énergie que lui offrait la nature : l’énergie musculaire, éolienne, hydraulique, pour les convertir en énergie mécanique aux applications pratiques. Il a inventé des dispositifs adéquats. Ainsi sont nés les moulins à sang, à vent, à eau. Ces moulins sont donc des ouvrages spécifiques dont l’affectation est dédiée à cette conversion. Pour domestiquer l’énergie hydraulique, toute une infrastructure est nécessaire, avec modification du terrain et non pas seulement d’un bâtiment et de ses équipements intérieurs. Cet ensemble constitue un moulin à eau.
L’expression moulin à sang, à vent, à eau, désigne le mécanisme de conversion et correspond à l’affectation. Moulin à blé, à tan, à fer… désignent l’usage permettant une production matérielle (« moulin producteur »,
« usine », « fabrique ») ; elle est immatérielle pour un moulin à paroles, à prières, à musique.
Un « moulin » à eau correspond donc à un ensemble indivisible3, avec pour vocation, la conversion énergétique. S’il n’y a plus cette affectation, ce n’est plus un « moulin », mais un ensemble immobilier plus ou moins banal, au bord de l’eau (ou même plus du tout !).

2. Effet de la pisciculture sur l’usage du moulin et son droit fondé en titre
La présence de la pisciculture suspend simplement l’usage (par l’intermédiaire de l’eau) de la force motrice du moulin. Or, un non-usage, même prolongé, ne fait pas perdre un droit fondé en titre, tant que subsistent les éléments essentiels de l’ouvrage hydraulique. La pisciculture, faisant l’objet d’un bail, n’est pas une structure pérenne : elle cesse son activité en fin de bail, et le moulin peut alors retrouver son usage fondamental (littéralement :
qui justifie son fondement).
Par ailleurs, le fonctionnement d’une pisciculture par surverse ou éclusées des bassins n’interdit pas le transit de l’eau dans le canal, ce qui permet de mobiliser une certaine puissance utilisable par le moulin, même si, en pratique, cette puissance, trop faible, n’est pas mise en œuvre. Il n’empêche, dans un système hydraulique de type moulin, où la puissance est modulable, le fait d’avoir une puissance disponible, même faible, à cause de l’existence d’une pisciculture dans le canal d’amenée, ne fait pas pour autant perdre le droit fondé en titre que le moulin possède à l’origine.
En cas de cessation de l’activité de la pisciculture, la configuration de celle-là, en bassins successifs séparés par des vannages facilement supprimables (ils le sont déjà en grande partie), permet à l’eau de s’écouler dans le canal, ce qui correspond au souhait actuel des propriétaires. La remise en état initial, que la DDT prétend nécessaire pour retrouver éventuellement le droit d’eau prétendu perdu, n’est donc, ni utile dans la perspective actuelle, ni , à notre avis, juridiquement fondée.

3. Sur la distinction « changement d’usage » – « changement d’affectation »
Un changement d’usage concerne ici l’usage de l’eau, c.-à-d. la façon de se servir de l’eau. L’eau n’est pas un élément constitutionnel d’un moulin (qui lui, est un élément de génie civil restant en place) : elle est un véhicule, elle, et ne fait que transiter. Elle n’appartient ni au moulin ni à la pisciculture et doit être, au final, restituée à la rivière. La pisciculture fait usage de l’eau à des fins autres qu’énergétiques, mais cette eau conserve un potentiel énergétique qui peut toujours être affecté au moulin, s’il reste un moulin. Or, ici, le moulin reste un moulin, c.-à-d. un ouvrage conçu pour convertir l’énergie hydraulique en une autre énergie (mécanique à l’origine). Il a ainsi, conservé dans sa configuration, les caractéristiques essentielles liées à sa fonction d’origine. Les modifications mineures apportées au canal ne font pas définitivement obstacle au transit de l’eau vers les autres organes du moulin. Sa fonction première restant intacte, il n’y a donc pas, fondamentalement, changement de destination du moulin.

Un changement d’affectation concerne le moulin. À Bordes, le moulin a gardé son affectation originelle. Le fait qu’il ne fasse pas actuellement usage de l’eau n’y change rien. Le moulin n’a pas été l’objet d’un changement d’usage, mais d’une suspension provisoire de l’usage de l’eau à des fins énergétiques (usage qui reste latent), au profit d’un autre usage non exclusif, afférent à une partie seulement de l’ensemble « moulin ». Or une phrase du CR de visite où il est question du changement d’usage est ambiguë, car, se rapportant en fait au canal, elle laisse penser que le changement d’usage est généralisable au moulin.

4. Aspect sémantique
Un canal d’amenée a, pour destination, pour affectation (ces deux termes sont utilisables l’un pour l’autre, et c’est le cas dans les textes officiels de référence qui citent indifféremment « changement de destination » ou
« changement d’affectation ») , le transfert
et/ou le stockage de l’eau.
Une installation de pisciculture utilise cette fonction de transfert ; elle ne la modifie pas :
elle ne change pas cette fonction qui est la raison d’être du canal d’amenée.
La pisciculture est un usage (un usage de l’eau). Elle profite d’une affectation (celle du canal d’amenée, qui est un ouvrage), pour le transfert de l’eau jusqu’aux différents bassins, et pour son stockage lorsque les vannes sont fermées.
Pour les usages d’un moulin autres qu’une pisciculture, le canal d’amenée est encore et toujours un ouvrage, et de transfert de l’eau et de stockage lors d’un fonctionnement en éclusée ou simplement de stockage momentané lorsque la vanne ouvrière est fermée. Le canal de fuite assure avant tout une fonction de transfert (restitution de l’eau à la rivière).
Les moulins sont, dans leur grande diversité, affectés à des usages variés : mouture du grain pour les moulins bladiers, concassage pour les moulins bocards, foulage pour les moulins foulons, martelage pour les forges les martinets et les taillanderies, broyage, pressage pour les moulins à huile, à tan, à papier, sciage, etc. Certaines de leurs pièces mécaniques et certains équipements (différents selon la fonction) sont affectés à un usage particulier ; ils ont une affectation. Par extension, le moulin qui les possède, a cette même affectation.
On voit bien qu’« usage » et « affectation » ne sont pas synonymes et ne doivent pas être pris l’un pour l’autre, comme la DDT le fait abusivement.
Un changement d’usage n’a rien d’anormal pour un moulin ; ce n’est pas une circonstance exceptionnelle qui justifierait un changement de son statut ; c’est même fréquent dans l’histoire d’un moulin. Fourmillent les exemples de moulins qui tour à tour ont changé d’usage ou encore en ont cumulé plusieurs. C’est d’ailleurs le cas du Moulin de Bordes.
Dans le CR de visite, il est fait état d’un changement d’usage (pisciculture) : c’est exact, car il est question du canal (et cela ne met pas les propriétaires, en ce qui les concerne, en porte-à-faux avec la réglementation, à la différence de la société de pêche). Mais dans la lettre suivante, le texte se transforme en
« changement d’affectation des ouvrages principaux ». En assimilant ainsi « usage » du canal à « affectation » des ouvrages principaux, il y a une double dérive sémantique que nous n’acceptons pas : l’une sur le sens d’
« usage » et d’« affectation », l’autre sur l’assimilation englobante du canal à l’ensemble des ouvrages principaux qui sont l’apanage d’un moulin.

5. En quoi consiste l’affectation d’un moulin fondé en titre ?
Pour un moulin, le droit fondé en titre relève d’une décision de bon sens. À la Révolution, ce droit a été accordé aux moulins à eau du fait de la nécessité vitale pour la Nation de conserver la fonction qui était la leur, essentielle dans l’économie : produire de la farine, base du pain et de la nourriture pour les animaux, fabriquer (les moulins sont alors des
« fabriques ») des outils, des armes, de quoi se vêtir, se protéger, écrire…
Pour cette raison, le droit d’eau fondé en titre permet au moulin auquel il est attaché (indépendamment de son propriétaire), de dériver de l’eau et/ou de la stocker à des fins énergétiques (utiliser la force hydraulique). Un autre usage ne change pas fondamentalement, on l’a vu, l’affectation du moulin, tant que la force motrice peut toujours être mobilisée. Ce qui implique que la configuration des ouvrages rendant possible l’usage de l’eau à des fins énergétiques ne soit pas radicalement modifiée et reste intacte (aux éventuelles réparations près). Le moulin garde sa vocation d’origine.
Un changement d’affectation implique au contraire une modification profonde (le plus souvent irréversible et donc définitive) du génie civil propre à un moulin, de nature à rendre désormais impossibles l’usage ou les usages antérieurs permis par sa conception. L’installation d’une pisciculture ne correspond pas à un tel cas de figure. Les modifications ici mineures du canal d’amenée (elles n’affectent pas son gros œuvre) qu’elle a entraînées ne condamnent pas définitivement l’usage antérieur du moulin et ne lui font pas perdre son droit fondé en titre (Arrêt du 24 Avril 2018 du Tribunal Administratif de Caen et de la Cour Administrative d’Appel de Nantes – Requête n° 16NT00807)
Le droit fondé en titre se conserve même par non-usage : ainsi il n’y a pas lieu de distinguer et d’opposer, usage actif des installations et usage potentiel. Tant que demeure l’usage potentiel à des fins énergétiques, grâce à des structures et à des infrastructures (génie civil et génie hydraulique) adaptées et conçues dès l’origine, le droit ne se perd pas, quand bien même on mettrait en œuvre une fonction accessoire (usage) non énergétique (pisciculture) qui d’ailleurs ne concerne ici qu’un élément (le canal) de l’ouvrage-moulin pris dans sa globalité.

6. Pour une acception pertinente des termes « usage » et « affectation »
Dans le langage courant, on parle d’affectation à un usage, pas l’inverse. Les deux termes ne sont pas interchangeables. Lorsqu’on les confond, c’est par approximation, en ne retenant que la notion d’emploi, d’utilisation, qu’ils renferment et possèdent en commun, directement pour « usage » et indirectement pour « affectation ». Le mot « usage » désigne simplement le fait d’user, avec constat d’état, donc statique ; par contre il ne comporte pas la notion dynamique de fléchage, de destination, de rôle dévolu, assortie d’une volonté, qui est sous-tendue par « affectation ». En outre, le mot usage, dérivé d’« us » a, en propre, la notion temporelle d’habitude et celle de savoir-faire (coutume), de manière d’agir.
« Usage » traduit un service effectif passé ou actuel qui est rendu, tandis qu’« affectation »
évoque un service programmé futur qui est attendu.

Au Moulin de Bordes, l’usage de pisciculture est le résultat d’une affectation donnée au canal et non à l’ensemble du moulin qui a sa propre affectation à d’autres usages (mis en œuvre dans le passé et maintenant en sommeil) relevant du droit fondé en titre. Ces précédents usages sont susceptibles d’être réveillés, comme la scierie par exemple, ou encore de laisser place à un autre usage, comme l’hydroélectricité, ainsi que ne l’interdit pas le droit fondé en titre. Contrairement à ce que la DDT a écrit, la restauration de l’usage initial des installations n’a pas à conditionner une « réactivation » de ce droit annoncé comme perdu. L’affectation initiale des installations à l’usage de la force motrice est inchangée.

Si un usage d’habitation, suite à des modifications telles qu’exposées (§1 et 4), conduit effectivement à un changement d’affectation, tout changement d’usage ne conduit pas toujours à un changement d’affectation, mais un changement d’affectation conduit toujours à un changement d’usage.
Un moulin auquel on ôte définitivement tout usage est « désaffecté » ; il n’est plus affecté à aucun usage. Mais, s’il en conserve, n’en serait-ce qu’un, nécessitant la force motrice, il ne perd pas son affectation. Et cette qualité de moulin, intrinsèque, ne se perd pas davantage par non-usage.

7. Où une sémantique rigoureuse peut préserver le patrimoine
Parmi les péripéties de cette affaire du Moulin de Bordes, il en est une qui mérite d’être relatée, et qui montre bien la nécessité de pousser le dialogue avec l’administration : lors de la visite des lieux, l’aspect patrimonial, dont la libre circulation de l’eau dans le canal constitue une composante essentielle, car elle témoigne de la vie du moulin, n’avait pas du tout été considéré puisqu’il fallait condamner la prise d’eau (injonction orale). Le fait que les propriétaires aient souhaité une confirmation écrite par un compte-rendu semble avoir incité la DDT à plus de rigueur : dans le CR figure cette fois, une remarque relative à la conséquence (assèchement) d’une fermeture de la prise d’eau sur la dégradation à terme du patrimoine (canal d’amenée, bâtiments). Nous pensons que ce revirement, et ce recadrage, traduisent enfin une réelle prise en compte de la dimension patrimoniale des moulins, comme exigé conjointement par le Ministère de l’Environnement et celui de la Culture, par leur courrier du 18 septembre 2017 adressé aux préfets et leurs administrations. Il faut se féliciter de cette évolution rapide des conceptions de la DDT ariégeoise qui constitue une avancée majeure sur le sujet.
Assurez-vous qu’il en va de même dans vos départements…
Ce volet patrimonial doit aussi être mis en avant lorsqu’un changement d’affectation, tel que nous l’avons décrit, ou encore la ruine, sont intervenus avec pour corollaire légale la perte du droit. La plupart du temps, l’administration prône, voire exige, l’arasement ou le dérasement du seuil, sous les prétextes qu’il n’est plus utile, car le moulin est devenu sans usage et qu’il faut rétablir la continuité écologique. Notons l’emploi de l’expression
« sans usage ». Elle est source d’abus car il est souvent possible d’attribuer à l’eau dérivée un usage autre qu’initial : irrigation, pisciculture, refuge de faune aquatique en étiage, stockage incendie, soutien de nappe, minoration des effets retrait-gonflement du sol sur la stabilité et l’intégrité des constructions avoisinantes, agrément, composante paysagère… Ces trois derniers usages (au moins), intéressent le patrimoine dans son acception la plus large, et doivent donc être pris en compte pour justifier un maintien du seuil (souvent lui-même d’intérêt patrimonial). N’oublions pas que la destruction volontaire d’un seuil, outre ses conséquences écologiques et environnementales inverses de celles escomptées, aboutit, pour un moulin qui est à l’abandon et dont le canal n’est plus en eau, à une accélération des processus naturels menant à la complète disparition matérielle et à l’effacement du moulin de la mémoire historique, autre élément patrimonial.

Voici donc, avec ce dossier du Moulin de Bordes, un exemple parmi bien d’autres (nous avons déjà, dans notre revue, traité le cas de la confusion abusive entre « continuité » [d’une rivière] et « continuité écologique » cf n° 62 du MDM), d’une dérive sémantique utilisée par l’administration pour accréditer une thèse qu’elle a décidé de défendre. Elle joue sur l’ignorance du public ou sur des subtilités que le public a rarement l’opportunité de relever.
Il s’agit bien d’une attitude sournoise et délibérée qui, au final, a pour but recherché de décourager les propriétaires de moulins en les soumettant à toujours plus de contraintes, et même, dans certains cas, les terroriser, afin de les priver d’un droit d’eau séculaire pour les moulins fondés en titre, et si possible les faire eux-mêmes renoncer à leur droit, ou tout mettre en œuvre, s’ils ont la chance de réussir à le conserver, pour freiner ou interdire les initiatives de conversion vers la petite hydroélectricité, bête noire du lobby de la pêche.
Cette politique, élaborée par notre haute administration, et que les fonctionnaires décentralisés ont pour rôle de mettre en œuvre sur le terrain, se heurte à un rejet compréhensible et justifié. Tout dialogue n’est cependant pas vain, dès lors que vous apportez les arguments appropriés dans le cadre légal, auprès de vos interlocuteurs, qui heureusement, heureusement n’y sont pas tous insensibles.

En conclusion, examinez de très près paroles et écrits dans vos rapports avec l’administration, non seulement sur le fond mais aussi sur la forme…et attachez-vous à la sémantique !

 

  1. Ainsi libellée, cette option sous-tend qu’ils sont toujours fondés en titre, d’où une surprenante contradiction…La rédaction est manifestement ambiguë.
  2. Nous interprétons ce revirement comme l’illustration d’une volonté opiniâtre de faire perdre le droit fondé en titre, ce que n’autoriserait pas à lui seul le changement d’usage invoqué jusqu’alors.
  3. Une éventuelle division rendrait juridiquement très délicate ou impossible une réhabilitation fonctionnelle de moulin : il est indispensable de conserver la maîtrise du foncier.

Marc Meurisse, Conseiller FDMF et Mmes Maurette, Moulin de Bordes-sur-Lez

Paru dans le Monde des Moulins N° 71 de janvier 2020

Catégories : Législation

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