Le site des Moulins de France
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Remerciements
Cet article n’aurait pu être réalisé sans la complicité et l’amitié de Marc Censi, fils aîné d’Ampélio Censi, et des responsables actuels de la Société Censi : Éliane Durand, Jean- Marc Douziech et Henri Fabre. Qu’ils en soient tous sincèrement remerciés.

Avant-propos
Cet article est très certainement le premier en France à être consacré au métier de mécanicien- monteur de moulins. Un métier qui remonte à 1200 ans, quand les moulins se sont répandus dans toute l’Europe. En 2015 la Société des Établissements Censi est l’une des dernières (si ce n’est la dernière) de notre pays à continuer ce noble métier. Aussi, nous remercions d’avance tous les lecteurs, issus ou non de famille meunière, de nous indiquer les mécaniciens-monteurs de moulins de leur région et de nous donner les coordonnées des familles qui disposeraient d’archives sur ce sujet. Il est très important d’arriver à cerner cette profession si discrète et pourtant essentielle à la modernisation et à l’entretien de moulins à farine. Merci d’avance aussi de nous indiquer l’existence de documents d’archives publiques, photos anciennes, dessins, etc.

Itinéraire d’un mécanicien de moulins de la Vénétie à l’Aveyron
Ampélio Censi est né le 14 août 1905 à Noventa Vicentina, à 38 km au sud-ouest de Padoue, en Vénétie, Italie, dans la grande plaine commune de l’Adige et de la Brenta. Sa mère est Marina Branzo et son père Antonio est menuisier d’entretien à la minoterie de Noventa-Vicentina. Il fait son service militaire à Benghazi en Tripolitaine (Lybie) du 1er octobre 1925 au 15 octobre 1926 en qualité de menuisier. De retour en Italie, le pouvoir mussolinien s’est installé. Les jeunes hommes sont forcés de suivre les Jeunesses fascistes aux chemises brunes qui cherchent à les enrôler en les obligeant à subir des entraînements militaires forcés, à marcher au pas, et à des séances d’endoctrinement. Étant contraint de suivre ce mouvement, il refuse.
En représailles, on lui fait boire de l’huile de ricin. Le chômage frappant aussi fortement l’Italie, il décide de fuir le pays et d’émigrer en France. Un mouvement migratoire s’établit alors avec tous les italiens refusant la dictature. Le 2 mars 1931, il arrive en France, en Lorraine, et travaille comme monteur à la scierie Groises, de Savonnières-devant-Bar, à 2,5 km au sud-est de Bar-le-Duc, dans le département de la Meuse. Il part ensuite pour une scierie de Blesme, commune à l’est d’Haussignémont, dans le sud-est du département de la Marne (à 14 km à l’est de Vitry-le-François et 20 km au nord-ouest de Saint-Dizier) où il séjourne du 20 juillet au 8 août 1931.

Un acteur majeur de la modernisation des minoteries du Rouergue et ses alentours
De juin 1931 à juillet 1934, Ampélio Censi est embauché par la Société Bühler (fig. 1), fabricant suisse de matériel de meunerie, en qualité de monteur spécialiste en installation de minoteries. L’entreprise lui fournit un certificat de travail en 1934. En 1933, Bühler envoie Ampélio en Aveyron pour moderniser le Moulin des Attizals à Rodez, sur les bords de l’Aveyron, et le transformer en minoterie.

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Fig. 1 Plaque de machine Bülher posée sur la polisseuse de cylindres. Vers 1930-34. Photo JPH Azéma, 2015.

De ce fait, il arrive sans le sou et prend une chambre à l’Hôtel Andrieu, situé Avenue Tarayre, face à l’église du Sacré-Coeur, au coeur du faubourg Saint-Cyrice. Pour rejoindre les rives de l’Aveyron, il se déplace à pied, emprunte l’avenue de Montpellier, passe devant le magasin de tissus de l’entreprise Dueymes, descend l’avenue puis coupe par un petit chemin qui tombe directement au moulin des Attizals.
Une jeune fille âgée de 17 ans, Suzanne Dueymes, repère rapidement ce nouveau venu, bel homme de 26 ans qui habite le quartier. Fille d’Henri Dueymes, elle travaille au magasin de l’entreprise de filature et de fabrication textile familial, établi au carrefour Saint-Cyrice. Ampélio Censi passe matin et soir devant la vitrine du magasin. La jeune fille tombe amoureuse du jeune italien. Un jour de pluie, le jeune homme s’abrite temporairement sous le porche de la manufacture.
Suzanne qui l’a vu arriver, sort « par hasard » et fait mine de passer à ce moment là. C’est le début d’une belle histoire d’amour.

Rodez (Aveyron) : Les Dueymes, industriels incontournables du Faubourg Saint-Cyrice.
Quelle est donc l’origine de la famille de Suzanne Dueymes ? À l’angle de la rue Saint-Cyrice et de l’avenue de Montpellier se trouvent l’appartement et la manufacture de filature et de tissage tenue par la famille. À l’époque, on travaille la laine de pays à façon. En ce début du XXe siècle, à Rodez, chaque premier samedi du mois, c’est la « Fieirou », la petite foire du faubourg Saint-Cyrice. Les paysans apportent la laine et remportent l’équivalent en laine filée. Les Dueymes, originaires de Moyrazès, exploitent une usine textile dans ce quartier et un petit établissement annexe à l’usine de Layoule alors transformée en teinturerie. À l’origine, Henri Dueymes est venu travailler à Layoule comme ouvrier, chez Vareilles. Ce dernier lui cède ensuite l’entreprise. Trop à l’étroit au bord de l’Aveyron, il construit une autre filature au faubourg Saint-Cyrice, atelier de filature, tissage et magasin.

Suzanne et Ampélio Censi, naissance d’un couple d’entrepreneurs
Henri Dueymes ne voyait pas d’un bon oeil la fréquentation de sa fille. Un jour, il se rend à la gare de Rodez, à la place de Suzanne, pour attendre Ampélio à l’arrivée du train de Paris.
À peine descendu du train, Ampélio se voit remettre par Henri Dueymes un billet de train retour et un petit pécule. Le jeune homme ne se laisse pas impressionner et, sur le champ, demande la main de Suzanne. L’affaire est close. Il faut voir le curé de l’église du Sacré- Coeur. Henri Dueymes part en Italie, à Noventa Vicentina, pour rencontrer les parents d’Ampélio.
De retour à Rodez, il dit cette phrase, restée célèbre dans la famille, « En final, ils sont comme nous ». Ampélio Censi et Suzanne Dueymes se marient le 16 août 1934 (fig. 2 et 3), lui a exactement 29 ans et elle tout juste 20 ans. Leur premier enfant, Marc, naît le 24 janvier 1936. Ils auront deux autres enfants, Anne-Marie en 1941 et Jacques en 1946.

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Fig. 2 Portrait photographique d’Ampélio Censi en 1934. Photo coll. Marc Censi.

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Fig. 3 Portrait photographique de Suzanne Dueymes en 1934. Photo coll. Marc Censi.

Ampélio et Suzanne habitent dans un premier temps dans la maison paternelle Duyemes au Faubourg, à l’angle de l’Avenue Tarayre et de l’Avenue de Montpellier, au N°1 de cette dernière. C’est dans cette maison que naîtra leur premier enfant, Marc. Rapidement Ampélio Censi souhaite créer son entreprise. Son patron, la société Bühler, lui donne deux machines, une à canneler les cylindres et une à polir les cylindres. Mais le jeune entrepreneur est sans le sou et il doit impérativement trouver une garantie bancaire pour emprunter l’argent dont il a besoin. Henri Dueymes ne fait pas un geste ! Il se retourne donc vers les oncles maternels de la famille Garrigou, deux oncles, époux des deux soeurs de la mère de Suzanne. Les deux hommes acceptent de se porter garant pour la création de cette activité nouvelle en Aveyron. C’est ainsi qu’Ampélio Censi s’établit comme monteur et mécanicien de moulins, pour les minoteries à cylindres et meuneries à meules. Il met en place aussi des turbines Teisset-Rose-Brault.
Ampélio installe son entreprise et son atelier au quartier des Quatre saisons, au bas de la ville de Rodez, au 85 de l’Avenue de Paris (fig. 4), à deux pas du restaurant Jarrousse, actuel  Lion d’Or. Cette localisation n’est pas le fait du hasard. Ce quartier est alors une véritable ruche artisanale qui, de plus, est très proche de la gare de chemin de fer. Son épouse Suzanne devient dès le départ son conjoint-collaborateur.

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Fig. 4 Le 85 avenue de Paris où se trouvait le premier atelier d’Ampélio. Photo JPH Azéma, 2015.

Elle prend en charge la correspondance, la comptabilité et partage la partie commerciale avec son époux. Suzanne possède une machine à écrire de marque Japy. Toute la semaine, Ampélio travaille à la modernisation des moulins. Pour se rendre sur ses chantiers et pour la vie quotidienne, Ampélio Censi a acheté une voiture, une traction avant Citroën de 11 CV. Économe, au quotidien, il utilise un vélo pour se rendre à son travail, n’ayant qu’à monter ou à descendre la grande avenue qui relie son domicile à l’atelier. Ponctuellement il embauche un piqueur (ou rhabilleur) de meules itinérant, Monsieur Picou, un petit bonhomme portant un béret et à la voix haut perchée.

Un professionnel aimé des meuniers
Après une semaine bien remplie, le dimanche est réservé à la visite commerciale des meuniers, qui sont souvent devenus des amis.
Ampélio embarque la famille dans sa Citroën traction avant. Marc Censi se souvient de ces tournées dominicales qui rompaient la monotonie de la vie scolaire. Pendant la guerre, il changera de véhicule, cédant sa Citroën, pour une Buick noire (fig. 5) des années 1920. Son épouse Suzanne l’appelait « la veuve Buick », seule voiture pouvant être équipée au gazogène à charbon de bois. Très vite, son entregent fait florès. Au-delà du très bon technicien, il laisse aussi la trace d’un entremetteur hors pair ; on l’appelle « le patélou ». Connaissant toutes les familles meunières de l’Aveyron, du Tarn, de Lozère et du Cantal, il sait arranger les mariages entre familles, repérant les jeunes filles et les jeunes garçons en âge d’être mariés.

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Fig. 5 Ampélio Censi et sa Buick noire vers 1940. Photo coll. Marc Censi.

L’entreprise se développe rapidement et beaucoup de meuniers transforment leurs moulins à meules de pierre en minoteries à cylindres. Monsieur Cylène, de Bühler France, à Paris, lui envoie de la clientèle. Marc Censi se rappelle que son père disait qu’il ne manquait pas de travail, il avait une clientèle correspondant à « un moulin par jour sur l’année », soit une clientèle de 365 moulins ou minoteries à cylindres, y compris les moulins à meules de pierre.
Tous les grands minotiers de l’Aveyron, du Tarn et de Lozère deviennent ses clients. Ampélio recrute un chef-monteur de chez Bühler, Alfred Kilian, ouvrier d’origine alsacienne. Chaque monteur dispose de sa caisse à outils individuelle en bois de sapin. Il fait venir d’Italie son neveu Antonio Censi (dit Toni) puis, plus tard, le frère de ce dernier « Frère Guiseppe » (dit Bépi), ainsi qu’un menuisier de Noventa Vicentina, nommé Dalpra. 

Une volonté très forte d’intégration à la société française
Ampélio souhaite s’intégrer rapidement dans la société française et demande sa naturalisation.
Le député Bastide l’aide dans cette démarche. Le 12 octobre 1939, il est français ! La guerre avec l’Allemagne déclarée, le tout jeune père de famille se trouve mobilisé et doit partir vers l’est. À ce moment, les minotiers se sont tous mobilisés contre son départ.
Alexandre Passaga, minotier à Bertholène et président du Syndicat de la Meunerie Aveyronnaise, s’en émeut et écrit au préfet de l’Aveyron : « Voulez-vous que les aveyronnais manquent de pain ? ». Le préfet ne reste pas insensible à cet argument et mobilise Ampélio Censi à son entreprise, lui permettant d’assurer l’entretien des moulins et minoteries aveyronnais et alentours. Malgré sa nationalité française, l’intégration sociale au quotidien est parfois ponctuée de réactions xénophobes.
Un matin, alors qu’il arrive devant sa maison, il se trouve face à un gitan qui l’attend pour l’agresser et l’insulter, le traitant de « sale macaroni ». N’étant pas homme à se laisser faire, il s’en suit une altercation. Ampélio fait face à son agresseur. Le gitan, éméché, retire son manteau, son bras droit soulève le vêtement et sa main droite essaye de l’accrocher sur un porte-manteau imaginaire. Le manteau tombe et s’écrase au sol. Le gitan fixe le jeune entrepreneur et lui envoie un direct du droit qu’Ampélio esquive de justesse en basculant la tête à droite. La riposte est fulgurante. Ampélio décroche un puissant gauche qui atteint le gitan à la mâchoire et le déséquilibre. Il s’écroule sur le sol et reste trois heures dans le
coma. L’affaire est close. En 1942-1943, trop à l’étroit dans son atelier, il achète un terrain rue Marc Robert (fig. 6), à 350 m environ à vol d’oiseau de là, pour y construire un nouveau bâtiment plus spacieux.

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Fig. 6 Vue partielle du nouvel atelier de la rue Marc Robert (2015). Photo JPH Azéma, 2015.

L’emplacement est intéressant et possède un environnement favorable pour le développement de la jeune entreprise. La gare est proche et le quartier est déjà occupé par des artisans utiles à son métier : Barthe le fondeur et Labarthe le tourneur. Travailleur et économe, Ampélio va chercher lui-même son ciment à l’usine de Lexos dans le Tarn-et-Garonne.
Le nouvel atelier se compose de trois bâtiments organisés en U autour d’une cour intérieure ouverte sur la rue. Côté ouest se trouvait l’atelier de rectification des cylindres de meunerie avec deux canneleuses et une polisseuse, toutes les trois de marque Bühler.
Au centre, côté nord, prenait place l’atelier de tôlerie. Et fermant la cour côté est, l’atelier de menuiserie achevait l’ensemble. C’est l’entreprise en bâtiment Foissac qui construisit la première aile de la nouvelle construction. Mais le résultat n’étant pas à la hauteur des espérances, Ampélio décide de construire luimême les deux autres ailes de son entreprise. Il embauche pour les besoins de la cause des ouvriers italiens de Noventa Vicentina. Le nouveau local professionnel achevé, sur le terrain contigu plus à l’est et au-dessous, il se lance dans la construction d’une maison familiale entourée d’un jardin. Au bout de la rue, au niveau du carrefour des Quatre Saisons, il y avait un chalet en bois peint en vert. Là, se trouvait le domicile du sculpteur Marc Robert, ami de ses parents.

Un travailleur acharné
Travaillant sans relâche, Ampélio commençait ses journées à 7 heures du matin pour les finir à 23 heures (fig.7). Le soir, après souper, Ampélio Censi retournait travailler à son atelier.

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Fig. 7 Caisse à outils de mécanicien de moulins d’Ampélio Censi. Photo coll. Marc Censi.

À la belle saison, Suzanne venait lui apporter le repas. Il prenait alors une planche, la posait sur des tréteaux et improvisait une table de pique-nique. Le dimanche, en automne et en hiver, il aimait chasser toute la journée sans interruption du côté de Ségur. Les tableaux de chasse réalisés après la guerre 1939-1945 étaient très importants.
Marc Censi se souvient d’une intervention de son père au Moulin de Laval, sur le Viaur, une usine appartenant à l’Abbaye de Bonnecombe.
Alors qu’il travaille à la mise en place ou à la réparation d’une turbine, il fait tomber une clé, et laisse échapper, avec son fort accent italien et en présence d’un frère, un juron qu’il lâchait de temps à autre, « putain de moine ». Le moine en resta interloqué ! Il lui arrive aussi de jurer en disant « sacramento ». Il travaille aussi à la Minoterie électrique de Gaillac, dans le Tarn, tenue par les frères de Puymaurin, propriétaires du château de Cadalens.
Toujours à l’affût du matériel de récupération disponible, Ampélio Censi fréquente régulièrement Paris où il se rend dans des expositions spécialisées. Visitant les grossistes en matériel professionnel, il achète de gros volumes de poulies et fabrique aussi des poulies en lamellé- collé. Ce sont des éléments stratégiques du montage des moulins et minoteries. Il faut les bons diamètres, les bonnes largeurs, etc.
En 1960, Ampélio Censi se lance dans une expérience nouvelle, celle de la fabrication de conduits ou tuyaux préfabriqués de meunerie. Ces derniers sont indispensables pour assurer le transport des produits par le système pneumatique. Il utilise de l’acier galvanisé de 1 mm d’épaisseur et des raccords en alpax, un alliage léger à base d’aluminium, de 5 à 6 mm d’épaisseur. Les tubes acheminant les produits ont entre 40 et 80 mm, et ceux assurant la descente des produits de 100 à 120 mm de diamètre. Il usine lui-même les collerettes.
Ce qui l’ennuie le plus, c’est la question des raccords en Y. Il faut trouver le bon montage pour l’usinage des collerettes Il y pense jour et nuit jusqu’à ce qu’il trouve la solution. Pour promouvoir sa production, il conçoit un panneau de présentation sur lequel étaient fixés les différents éléments du système en pièces détachées. Mais ses coûts de fabrication sont trop élevés et en concurrence avec le grand fabricant de matériel de meunerie français SOCAM.
Ampélio décède en 1972. Son épouse, Suzanne, née en 1914, prend alors la suite de l’entreprise avec son neveu Toni Censi et cinq ou six ouvriers. Elle resta aux commandes de l’entreprise jusqu’en 1986, alors qu’elle avait 72 ans. Elle est décédée en l’an 2006.

Marc Censi
Marc Censi, fils aîné d’Ampélio et de Suzanne Censi, naît à Rodez, le 24 janvier 1936, au n°1 de l’avenue de Montpellier. Durant toute sa jeunesse, le jeune garçon fut baigné dans un milieu familial empreint de technique et de commerce où la prise de risque est une chose naturelle. Enfant, il aime s’amuser dans la filature de son grand-père Dueymes. Il rejoint la salle où la laine en suint est stockée en vrac, monte sur les poutres de la charpente et se laisse tomber sur les balles de laine qui amortissaient sa chute. Cette pièce sert de salle de jeu à Marc et ses cousins qui y jouent à cachecache.
Chaque enfant se laisse recouvrir par la laine et ainsi échappe aux recherches de ses cousins. Pour découvrir ses compagnons de jeu, chacun doit sonder la laine de temps en temps.
L’esprit et l’approche technique de son père lui permettent d’être toujours en éveil. Durant les vacances scolaires, son père lui confie le rivetage des godets métalliques sur les longues courroies des élévateurs et usine des clavettes à la lime. Vers 1950-1955, les moulins s’équipent de l’aspiration pneumatique, faisant alors disparaître les vieux élévateurs à godets fixés sur des sangles de forte toile.
Le baccalauréat en poche, Marc Censi va suivre des études supérieures d’ingénieur et devenir Ingénieur ECAM (Ecole Catholique d’Arts et Métiers, à Lyon). Il décroche accessoirement un certificat d’ajusteur et un autre  de tourneur. Il se marie alors qu’il est en troisième année d’étude. Suivant la voie tracée par son père, il part, à Paris, chez SOCAM (Société de Construction d’Appareils de Meunerie), et bénéficie d’un prêt d’honneur de la part de cette entreprise. Il est salarié pendant la quatrième année, à condition d’être diplômé de l’École Nationale de Meunerie. Étant déjà ingénieur généraliste, il suit une année de spécialisation et devient ingénieur meunier. Il part trois mois au Portugal pour mettre en route une maïzerie, à Vila Franca de Xira, au nord de Lisbonne. Parmi les étapes de transformation, il faut sortir le germe de la graine de maïs avec l’appareil « vibragerm ». L’usine connaît surtout de sérieux problèmes techniques liés aux moteurs électriques que le jeune ingénieur doit régler. Au Portugal toujours, Marc Censi découvre une organisation professionnelle innovante. Les meuniers, exploitant des moulins à vent posés au sommet des collines bordant le Tage, se sont réunis pour fonder une coopérative, outil moderne de production. De ce fait, ils ont changé de métier, devenant de simples employés dans des silos portuaires de la maïzerie.
En 1962, à 26 ans, il revient à Paris chez SOCAM, 225 rue Saint-Honoré, et découvre une grande agitation au sein du personnel de la société. Il en demande les raisons. On lui explique que la société fait faillite. Il s’interroge sur l’opportunité de reprendre la société paternelle Censi.
Le jeune ingénieur fait ensuite son service militaire. Ce dernier accompli, il n’a pas encore choisi d’orientation professionnelle précise. Un entrepreneur en bâtiment, connaissance de la famille, José Fernandez, vient alors le solliciter pour lui demander de faire une étude de béton armé. « Tu pourrais pas me faire une étude de béton armé ? ». Marc Censi s’attèle à cette nouvelle tâche. Ce travail en amène d’autres et d’autres entrepreneurs viennent lui demander des prestations. En 1963, il crée le « Bureau d’études Marc Censi ». Il étend ensuite son domaine d’intervention en ajoutant l’étude de charpentes métalliques, puis les charpentes bois, le chauffage et l’électricité. Cette entreprise individuelle, au statut de profession libérale, devint par la suite INSE (INgénierie des Structures et de l’Energie). Parmi les références de la société, dans le domaine agro-céréalier, on peut citer, entre-autre des silos à Cosne-sur-Loire (Nièvre), et ceux de la RAGT à Albi (Tarn), et à Calmont (Aveyron), les silos portuaires de Cotonou (Bénin) et l’aéroport de Bamako (Mali). En 1983, l’entreprise regroupe 30 personnes et cette année là, Marc Censi est élu Maire de Rodez. Ne souhaitant pas mêler affaires et politique, il choisit de vendre son entreprise à ses collaborateurs, pour se consacrer uniquement au service de ses concitoyens, avec un grand « S ».
Curieusement, le fils aîné de Marc Censi, Bruno, a suivi la filière meunière, épousant la fille d’un meunier Alsacien. Les hasards de la vie l’amènent à se trouver propriétaire du moulin de La Rouquette (ou de Rocola) près de Cougousse à Salles-la-Source. Cette usine équipée de quatre paires de meules et de quatre roudets en bois, produisit de l’électricité entre 1939 et 1945. Son propriétaire, un paysan, Monsieur Lagarrigue, avait équipé le lieu d’une génératrice électrique et fournissait ainsi le courant à tout le village de Cougousse.

En 2015, les Établissements Censi font tourner les moulins dans toute la France
Après le décès d’Ampélio en 1972, son épouse Suzanne assure, seule, la direction de l’entreprise. Cinq salariés font tourner cette société atypique. En 1986, âgée 67 ans, Suzanne décide de quitter les Établissements Censi dont l’activité est tombée à un niveau très bas. L’affaire est menacée d’arrêt et de disparition (fig. 8). Suzanne vend alors l’affaire à trois de ses employés. Une nouvelle aventure commence avec cette jeune équipe composée de Marie-Eliane Durand, comptable, qui assure aussi le secrétariat (31 ans), Jean-Marc Douziech, ajusteur mécanicien, le plus jeune salarié de l’entreprise (23 ans) et Henri Fabre (27 ans), frère de Marie Eliane Durand, lui aussi comptable et qui travaille comme commercial.

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Fig. 8 Carte de visite de l’entreprise Censi en 1985. Photo coll. Marc Censi.

Le jeune trio, avec enthousiasme, décide de franchir le pas de la reprise de la Société d’Exploitation des Établissements Censi, en location gérance, et ce jusqu’en 1996, date à laquelle ils rachètent le fonds de commerce. Les locaux de la rue Marc Robert devenus trop étroits, l’entreprise choisit de s’établir dès 1998 sur le nouveau parc d’activités de Malan, à Olemps, au sud de Rodez (fig 9).

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Fig. 9. Nouveaux bâtiments des Établissements Censi à partir de 1998. Photo JPH Azéma, 2015.

Le nouveau bâtiment offre 2000 m2 de bureaux et d’ateliers couverts. Un atelier de chaudronnerie aux nouvelles normes est aussi créé. Il répond à une exigence de qualité et à un axe stratégique de la société qui réalise ainsi du sur-mesure pour ses clients. L’entreprise conserve et entretient les vieilles machines à canneler les cylindres (fig. 10 et 11), de conception exceptionnellement robuste et moderne, achetées et utilisées par Ampélio Censi. Ces dernières sont essentielles pour le « rhabillage » des cylindres des appareils de broyage modernes.

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Fig. 10 Polisseuse Bülher des années 1930, toujours en fonction en 2015. Photo JPH Azéma, 2015.

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Fig. 11 Cylindre en cours de polissage. Photo JPH Azéma, 2015.

Le développement se poursuit encore en 2002 avec l’extension de l’atelier de chaudronnerie, et, en 2007, avec la création d’une cabine de peinture de 10 m x 15 m. En 2015, cette société est un acteur français majeur dans le secteur de la conception et du montage de minoteries modernes, et de la conception et la réalisation d’installations agro-céréalières, semencières et alimentation du bétail. C’est même la plus importante société indépendante du secteur en France. La Société d’Exploitation des Établissements Censi occupe aujourd’hui un atelier moderne sur la zone de Malan, à Olemps, au sud de Rodez, et emploie 25 salariés (fig. 12).

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Fig. 12 Nouveau logo des Établissements Censi. Photo JPH Azéma, 2015.

Une belle réussite, plus de 80 ans après la création de l’entreprise par Ampélio Censi.

Sources :
Archives personnelles de Marc Censi.
Entretiens personnels avec Marc Censi des 22 octobre 2014, 26 novembre 2014, 17 janvier 2015, et photos familiales de la collection de Marc Censi.
Entretiens avec les gérants actuels de la Société d’Exploitation des Établissements Censi depuis 1993.

JPH Azéma, Consultant spécialiste des moulins et du patrimoine industriel associé au CNRS – Framespa UMR 5136 Toulouse Le Mirail – Article paru dans le Monde des Moulins – N°54 – octobre 2015

 

Catégories : Histoire

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