Les photos de meuniers et de meunières sont des documents rares et importants pour connaître la réalité de ce métier, et découvrir les usages en cours au début du XXe siècle. Les documents que nous avons pu collecter depuis 33 ans sont ici présentés sous la forme d’un portfolio centré sur les seuls meuniers et meunières landais. À ce jour, quatorze documents ont été identifiés. Ils reflètent la volonté de photographes visionnaires qui ont ressenti l’urgente nécessité de fixer la mémoire d’un monde qui s’apprête à disparaître. Les photos présentées sont majoritairement reproduites dans le premier livre européen édité à ce jour, « Meuniers et meunières il y a 100 ans, en cartes postales anciennes ». Nous vous proposons aujourd’hui une présentation et une lecture- décryptage de treize de ces documents. Pour deux d’entre eux, nous avons procédé à des agrandissements d’images, de manière à en affiner la description. Cette étude, vous le verrez, réserve parfois bien des surprises et des interrogations.
Fig. 1 – Arjuzanx (Landes) – Le moulin. F. Bernède. phot., Morcenx. Vers 1900
Au début du XXe siècle (Fig.1), le département des Landes offre la particularité de disposer d’une petite meunerie traditionnelle à meules, très disséminée sur l’ensemble de ce territoire, que certains jugent alors en retard. Le village d’Arjuzanx est à 34 km au nordouest de Mont-de-Marsan et son moulin est établi sur la rive droite du Bès, à 110 m au sud de l’église, en contrebas du village. Il a depuis été détruit. Ce petit moulin, entièrement construit en bois, mesure environ 7 m x 7 m. Comme tous les moulins de la Grande Lande, il est construit sur pilotis de bois, les murs extérieurs sont confectionnés en palissades de planches posées à clin. La toiture à quatre pans, à faible pente, possède un couvrement en tuile creuse. La digue en terre qui retient l’eau du réservoir sert aussi à la desserte routière du moulin. Elle est contenue par une palissade en bois, bloquée par des poteaux eux aussi en bois.
Fig. 2 – Un moulin dans les Landes – Meunier piquant sa meule. F. Bernède. phot., Arjuzanx-Morcenx. Vers 1900
Fig.2 – Avec cette carte postale, toujours prise dans le même moulin, Bernède livre ici un document exceptionnel. Nous avons là la seule photo française, si ce n’est européenne, représentant un meunier et toute sa famille (cinq personnes), au travail dans le moulin. Le meunier et son fils aîné rhabillent la meule gisante à coups perdus. Cachée dans l’ombre, derrière le troisième moulin, tout contre la cloison en bois, la fille aînée du meunier, au moyen d’un crible, verse du grain dans la trémie du moulin qui tourne (détail sur Fig.3). En contrebas du moulin actif, à gauche de l’image, la meunière tâte la boulange (mouture) qui sort de l’anche et tombe, en pluie fine, dans la maie en bois. Non loin d’elle, le plus jeune fils balaye le sol du moulin. L’hygiène est de rigueur et il faut tout faire pour éloigner souris et rats qui, sinon, trouent les sacs et mangent farine et grain. Sur ce document, il ne manque que le chat, seul auxiliaire du meunier habilité à faire régner l’ordre vis-à-vis de ces rongeurs redoutés.
Fig. 3 – Détail de la carte précédente. La fille du meunier versant le grain criblé dans la trémie du moulin
Nous serions très heureux de pouvoir identifier les personnes présentes sur ce document, et connaître les noms et prénoms de tous les membres de cette famille. Si vous avez des informations généalogiques ou historiques sur ce sujet, transmettez-les au secrétariat de la FDMF qui fera suivre.
Fig . 4 – Un moulin dans les Landes – Meunier piquant une meule à moudre le seigle. F.Bernède, phot., Arjuzanx (Landes). Vers 1900
Fig.4 – La photo précédente du Moulin d’Arjuzanx n’est pas une photo de moulin comme les autres. Elle est l’oeuvre de Ferdinand Bernède (1869-1963), né à Arjuzanx. Photographeethnographe remarquable, il sait capter les ambiances et les artisans dans leur milieu professionnel. Il a réalisé une série de cartes postales, des vues intérieures exceptionnelles sur le moulin de son village natal. C’est en ce lieu exactement qu’il saisit le meunier dans son environnement technique. Trois clichés ont fait l’objet de tirage de cartes postales, dont deux représentent le meunier en train de rhabiller les meules. Nous n’en avons et n’en présentons qu’un seul. L’opération figurée, le rhabillage des meules, a rarement fait l’objet de cartes postales. Il s’agit, pour l’heure, de la plus ancienne donc de la première photo française connue de ce type de travail. Au centre de l’image, seul dans son moulin à grain à trois paires de meules, le meunier landais travaille sur la deuxième paire de meules. Assis en tailleur, il rhabille sa meule gisante à moudre le seigle, lui redonne du mordant. Il porte des lunettes pour protéger ses yeux des éclats de pierre et d’acier. Cette position estelle régionale ou simplement esthétique pour le photographe ? Autour de lui, deux moulins à grain en état de moudre. Sur leurs archures respectives sont accrochés des cercles d’osier ou de noisetier, très utiles pour rigidifier l’ouverture des sacs de toile lors du remplissage, ou empochage, de la farine. Non loin de là, sur le sommier de meules, les clés de réglage du mécanisme de trempure avec leurs deux cornes en acier coiffées chacune d’une boule. Dominant l’atelier de meunerie, le crible rond est accroché à un poteau de bois.
Fig. 5 – Landes – Jeune meunière. F. Bernède, phot., Arjuzanx (Landes). Vers 1900
Fig.5 – En Aquitaine, dans les Landes, les meuniers et meunières de village portent ainsi leur marchandise en toutes saisons. Les photographes les prennent sous toutes les coutures. La jeune meunière, juchée sur sa mule chargée d’un sac de grain, assise en amazone, est prête à partir en tournée. Après avoir observé la figure 5, (agrandissement de la figure 3), nous pouvons dire que celle-ci n’est autre que la fille aînée du meunier d’Arjuzanx, encore photographiée par Bernède.
Fig. 6 – Dans les Landes – Meunier portant le blé au moulin. Chebé Guyard, Nancy. Vers 1900
Fig.6 – Au coeur du village, le jeune meunier, à cheval sur sa mule chargée de sacs de grain, est très attendu. Les villageois se pressent dans la rue sur son passage.
Fig. 7 – Au Pays Landais – Un meunier transportant la farine. Phototypie Marcel Delboy, Bordeaux. Vers 1920
Fig.7 – Un meunier landais, lui aussi assis en amazone, est en tournée, perché sur sa mule. La paysanne lui sert un verre de vin pour lui permettre de continuer cette longue journée de travail. En plus de sa monture, il a à sa disposition une mule supplémentaire, reliée par une bride à la première mule. À quoi correspond cette configuration ? Est-on face à un meunier des plus pauvres, ne pouvant se payer une charrette ? Le meunier assure-t-il seulement la distribution de la farine ? Assure-t-il la distribution de la farine et par la même occasion la collecte des sacs de grain à moudre ?
Fig. 8 – Dans les Landes – Une meunière. Phototypie Marcel Delboy, Bordeaux. Vers 1920
Fig.8 – Cette vue est prise au même endroit que la précédente, avec les mêmes bêtes et les mêmes chargements, par le même photographe M.D. Elle présente une jeune meunière prête à partir en tournée. À la différence du meunier, elle n’a pas droit à une quelconque boisson.
Fig. 9 – Dans les Landes – Meunier landais. A. Villatte. Edit., Tarbes. Vers 1900
Fig.9 – Au coeur d’un village à la rue pavée et dotée d’un trottoir, le meunier landais assure la continuité de son service et de son travail en toutes saisons. Aussi, au cours de l’automne, durant l’hiver et le début du printemps, doit-il partir en tournée, assis sur sa mule, protégé par une large couverture en laine de pays. Il lui faut se protéger du froid, des intempéries, et de plus éviter que la marchandise ne se gâte. C’est pour cela que la couverture enveloppe à la fois le meunier, le sac de grain ou de farine sur lequel il est assis, et une partie de sa monture.
Fig. 10 – Au Pays Landais – Un moulin. Meuniers partant en tournée. Edition A Cazenave. Vers 1900
Fig.10 – En hiver, quelque part dans la forêt de la Grande Lande, un moulin landais typique en bois, posé sur pilotis, alimenté par un étang. Les murs du moulin, en palissade de bois, sont percés par un faible nombre d’ouvertures. Le bâtiment, d’un seul niveau, est protégé par une toiture à faible pente, à quatre pans et à couvrement en tuile creuse. Les meules sont au repos. Les roues hydrauliques horizontales ne manifestent pas leur présence par le bouillonnement qui habituellement trahit leur activité, au-dessous du moulin. Sur la digue, au-dessus du déversoir écumant, deux attelages bâchés, conduits chacun par une mule, sont prêts pour le départ. Dans quelques minutes, les deux chargements de farine seront acheminés vers leurs clients. À l’arrière du deuxième attelage, un gros tas de pierres, matière précieuse s’il en est, dans cette région boisée. Une (jeune ?) femme et une personne à cheval posent entre ce dernier et le moulin.
Fig. 11 – Types Landais – Un moulin dans les Landes. Cl. Ocana. Vers 1900
Fig.11 – Le photographe Ocana nous offre un magnifique cliché, parfaitement composé, du même moulin que le précédent. Lui aussi est pris en hiver, les branches des saules bordant l’étang étant dépourvues de feuilles. Pour photographier ce moulin, Ocana ôte son chapeau de feutre noir et le pose sur le sol, au premier plan. L’angle de prise de vue est perpendiculaire au précédent. Les deux attelages bâchés se sont déplacés et ont pris de la hauteur. Le cadrage choisi permet d’avoir une vue complète du site. Du haut en bas de l’image et de gauche à droite, on découvre la maison du meunier, avec un toit à longs pans, à faible pente et couvrement en tuile creuse. Devant cette dernière, on aperçoit l’extrémité de l’étang. Dans le prolongement de cette maison et séparée de celle-ci, une autre construction toute en bois, la charreterie. L’édifice à un étage est construit sur poteaux de bois et possède lui aussi un toit à longs pans, à faible pente avec un couvrement en tuile creuse. Au rez-dechaussée, il comprend trois travées servant à remiser et à protéger les charrettes. Au-dessus, l’étage sous toiture permet le stockage des denrées, probablement du foin destiné aux mules. Une charrette et sa bâche déposée sur le sol occupent la cour devant l’édifice. Au centre de l’image, prend place l’imposante digue de terre sur laquelle sont stockés les mêmes tas de pierres dont l’un d’eux a déjà été identifié sur la photo prise par Cazenave. L’ouvrage est percé par deux aqueducs. Le premier, sur la rive gauche, forme le canal d’amenée du moulin et mène jusqu’à ce dernier, à la droite du document. Cette usine s’appuie à l’extrémité du canal sur un ensemble massif en maçonnerie. Les murs, en palissade de bois, sont percés par un faible nombre d’ouvertures. Le bâtiment, d’un seul niveau, est protégé par une toiture à quatre pans et à couvrement en tuile creuse. Sur la rive opposée, le deuxième aqueduc, bien plus large, correspond au déversoir. La pierre étant rare dans la forêt landaise, les bajoyers sont intégralement réalisés en palissades de bois, étrésillonnées par de gros madriers en bois qui maintiennent constants leurs écartements. La route d’accès au moulin enjambe ces deux canaux.
Au premier plan, l’attelage le plus proche du photographe est mené par le meunier, tandis que le second, un peu plus en retrait, positionné en oblique, est conduit par la meunière (détail sur Fig.12). Les enfants du couple posent le long du déversoir. Le plus grand des garçons est à cheval, l’aînée de fratrie, une fille, se tient juste au-dessous, avec à ses côtés, ses deux plus jeunes frères.
Fig. 12 – Détail de la photo précédente. La famille du meunier
Le cliché de Cazenave et celui d’Ocana sont du même jour, avec les mêmes personnes dans le même lieu. Seuls la mise en scène et le cadrage diffèrent. Une situation rare. Les agrandissements photographiques que nous avons effectués sont formels sur ce point. Toujours pour éclairer l’histoire des moulins landais, nous invitons les lecteurs et chercheurs à identifier cette fois-ci tout autant le moulin que la famille qui a posé pour nous. Adressez vos informations au secrétariat de la FDMF qui fera suivre.
Fig. 13 – Meunier landais et son attelage. F. Bernède, phot., Arjuzanx (Landes). Vers 1900
Fig.13 – Ferdinand Bernède, en ethnographe scrupuleux, utilise ici son modèle préféré, le meunier d’Arjuzanx. Toujours vêtu du costume traditionnel blanc, portant un béret, il pose pour montrer l’importance du départ en clientèle.
Fig. 14 – Meunier des Landes – Mont-de-Marsan – Phototypie Saint-Pé. Vers 1900
Fig.14 – Près de Mont-de-Marsan, un jeune meunier, habillé en costume clair, conduit son attelage composé d’une petite charrette bâchée tirée par une mule. De la main gauche, il tient la bride de l’animal, et dans la main droite son fouet. Sous la bâche, au milieu des sacs, prend place la fillette du meunier.
Fig. 15 – Au Pays Landais – Attelage de mulets. Edition A. Cazenave. Meunier des Landes vers 1900
Fig.15 – Enfin, à Gourbera, petit village du sud des Landes, à 12 km au nord de Dax, près d’un moulin cerné par la forêt de pins, un meunier communiquant. Alors que le meunier est assis sur trois sacs de farine portés par sa mule, son aide (peut-être son fils ?) pose devant un attelage prêt à la livraison. La bâche couvrant la charrette porte la mention « H. Berot. Meunier à Gourbera. Landes ». Où se trouve donc ce moulin ? Adressez vos informations au secrétariat de la FDMF qui fera suivre.
Les documents présentés dans cet article (sauf les figures n°1 et n°11) font partie des 300 documents iconographiques, tous issus de notre collection personnelle et publiés dans le livre européen édité à ce jour « Meuniers et meunières, il y a 100 ans ». C’est en France que l’on trouve le plus de cartes postales sur ce thème. Les meuniers des autres pays européens sont rarement représentés. Les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont bien présents. Ce livre se veut une contribution significative, un corpus de référence, sur la question de l’humain dans ces lieux techniques et industriels que sont les moulins à farine. Il permet de saisir l’image d’une profession, d’un couple professionnel, et ce qui est encore plus rare, des femmes meunières, tout cela au coeur de l’âge d’or de la carte postale.
Jean-Pierre Henri AZÉMA
Membre fondateur de la Fédération Des Moulins de France, Expert, spécialiste des moulins, du patrimoine industriel et de l’histoire des rivières,
Chercheur associé au CNRS UMR 5136 Framespa Université Toulouse Le Mirail
Article paru dans Le Monde des Moulins N°52 – Avril 2015
1 commentaire
JUGI-VIRIOT · 19 mai 2021 à 13 h 43 min
Bonjour,
Après avoir regardé les petites aquarelles de mon arrière grand-père, dont une reproduit le moulin à Arjuzanx, j’ai voulu savoir si ce moulin existait toujours et quel ne fut pas mon émotion en trouvant votre récit sur les moulins et les meuniers dans cette région des landes!
bien cordialement
Marie-Andrée JUGI-VIRIOT