Al’est de Toulouse, entre les collines du Lauragais, le Girou draine les eaux du “Pays de cocagne” pour les mener à l’Hers puis à la Garonne. L’eau de cette rivière faisait tourner les “moulines” tandis que l’Autan actionnait les ailes des moulins à vent. Quant aux moulins à pastel qui florissaient dans cette région au XVIème siècle, ils étaient entraînés, eux, par un mulet ou un âne, indifférents aux aléas de la météorologie. De tout ce patrimoine industriel, seuls quelques vestiges précieusement conservés ou restaurés sont parvenus jusqu’à nous. C’est le cas du moulin de Nagasse sur le Girou.
Son histoire
Les premiers documents qui le concernent datent du XIVème. Tout au long de son histoire se sont succédées des périodes de prospérité et de ruine. Mais une des chances de ce moulin c’est qu’un passionné d’histoire locale, Gabriel Bernet, se soit attaché avec une rigueur méticuleuse à retrouver dans les registres paroissiaux, les actes des notaires ou les archives départementales, toute la chronologie de ses vicissitudes. Nous empruntons à cet érudit l’essentiel de sa documentation.
Compris dans la châtellerie de Verfeil, le moulin de Nagasse dépendait de la temporalité des archevêques de Toulouse et constituait avec ses terres alentour, un fonds noble. Les premiers propriétaires connus, au XIVème, faisaient hommage pour quelques deniers tolzans à l’archevêque de Toulouse. En 1574, le moulin appartient à Jacques de Verdiguier, figure notoire des guerres de religion en pays toulousain. En 1583, Verdiguier prend un fermier pour le moulin qui devra lui livrer trente-quatre sétiers de blé et planter cinquante saules chaque année. “Au cas advenant qu’il y aurait troubles et guerres et que par force on prendrait le blé dudit moulin”, Verdiguier sera tenu de demeurer sur place. Le meunier craignait les pillages. En effet, en 1584, “cinq pugnères de blé furent fauchés, dérobés et emportés”. Mais Verdiguier qui avait plus d’ardeur pour batailler que pour garder le moulin, se retrouve à la tête d’une petite troupe de huguenots et donne l’assaut en mai 1590 pour investir le village de Montastruc : il y trouve la mort ainsi que deux cent treize de ses coreligionnaires. Ses biens sont saccagés et le moulin est “ruiné et perdu” (1598).
Un riche marchand teinturier toulousain, Raymond Lacroix, en fait l’acquisition et après restauration, y installe un meunier. Peut-être victime de la crise pastelière, notre marchand fait de mauvaises affaires et voit ses biens vendus par la justice à Jacques Brousson, procureur au parlement de Toulouse, dont le fils Nicolas, avocat au parlement dût, à son tour, vendre Nagasse.
C’est un descendant d’une illustre famille toulousaine, les Assezat, qui en devient propriétaire (1656) et promet de payer les hypothèques de ce fonds. Pierre d’Assezat fait devant les Capitouls en 1675 “l’adveu et le dénombrement” de ses biens parmi lesquels “un moulin à deux meules, bâti de briques avec deux guarites à cul de lampe servant de défence”.
A la fin du XVIIème, le vieux moulin, victime du feu, des intempéries et des ressources limitées de son maître, se trouve dans un état de délabrement avancé. Aussi en 1699, les six enfants de Pierre d’Assezat décident de vendre Nagasse.
Moulin Nagasse avant travaux – collection personnelle H.Soulet
C’est Jean Giscard, un riche marchand drapier qui en fait l’acquisition : l’acte de vente confirme le caractère allodial du moulin ainsi que l’hommage dû à Mgr l’archevêque de Toulouse, signe de noblesse auquel l’acheteur ne devrait pas être insensible. La remise en état de marche qui met en oeuvre de gros moyens, se fait sans tarder et se poursuit par la restauration complète du bâtiment. Giscard conserve les tours qui serviront davantage d’ornement que de défense. Après dix ans de marche, il procède à quelques réparations et fait bâtir un deuxième moulin à vent dans les prés attenants afin de complémenter ses sources d’énergie. Le marasme des affaires et l’attrait du site font que notre marchand fait à Nagasse des séjours de plus en plus longs. Il s’y réserve l’exclusivité de pêche. Puis son fils aîné y vit avec femme et enfants. Plus tard en 1780, on dénombre entre frères, femmes et enfants jusqu’à quatorze personnes qui vivaient à Nagasse. Le moulin fut vendu en août 1797. Il ne tournait plus et se trouvait encore une fois dans un état de vétusté fort avancé.
Moulin Nagasse – photo H. Soulet
C’est une autre illustre famille toulousaine, les Malaret, qui en fait l’acquisition. Joseph de Malaret fait en sorte que le moulin puisse fonctionner. Il y met un meunier qui y vit avec sa femme, ses cinq enfants, un garçon meunier et une servante. Il ne garde pas longtemps Nagasse qui est vendu le 31 mai 1805 à deux frères, Jean et Barthélemy Bernet, encore une fois en indivision. Puis l’aîné vend sa part au cadet et le moulin fonctionne tout au long du XIXème. En 1913, il est vendu à Justin Jaussely. Les deux moulins à vent furent démolis pendant la guerre 1914-1918, tandis que le moulin à eau cessa de moudre vers 1909. La chaussée qui barrait le Girou fut détruite peu de temps après et le dernier meunier, Pascal Peyrole dit “Pascalou” s’en alla.
Nagasse servit d’exploitation agricole jusqu’en 1940. Etables et remises furent démolies vers 1945. Le canal d’amenée est comblé pour des raisons de remembrement. Le mécanisme a complètement disparu. Le toit s’est effondré puis le plancher de l’étage et enfin celui du rez-dechaussée. Les tourelles, en partie éventrées ont perdu leur toiture. Le propriétaire du Domaine de Baziolgue, Francis Rougeau, exploitant agricole, accepta de se séparer du “moulin en mauvais état avec terrain attenant” par acte du 15 septembre 1969. Emus par la fin tragique de ce témoin du patrimoine rural, deux passionnés (et peutêtre aussi un peu fous), le frère et la soeur, Henri Soulet et Jacqueline Murat, ont uni leurs ressources pour acquérir et restaurer (sans aide publique) ce moulin agonisant. Deux ans plus tard, les travaux extérieurs étant terminés, le moulin de Nagasse a été inscrit sur l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques (arrêté du Ministère des Affaires Culturelles, du 8 avril 1971). Par donation, il appartient actuellement en indivision, aux trois frères Laurent, Jean-Christophe et Stéphane Soulet.
Son état actuel
Le moulin de Nagasse avait eu de tous temps une double fonction d’outil de travail et d’habitation. De sa fonction molinologique, il ne reste rien sinon quelques quartiers de meule, épars sur le terrain. Ce n’est plus un moulin mais c’est une demeure qui a pu retrouver l’authenticité de son aspect extérieur. Le bâtiment est en forme de rectangle de 11 mètres sur 9. Il comporte un étage. Il est construit en briques foraines de 4,5 cm d’épaisseur. Le toit à quatre pentes est couvert de tuiles canal. Le corps du bâtiment est flanqué de deux tours en diagonale soutenues par un renforcement plein en rez-de-chaussée qui s’évase en “cul de lampe” et supporte une tourelle accessible par la pièce attenante du premier étage. Ces deux tourelles dépassent le niveau du toit principal et sont coiffées d’un toit à quatre pentes, couvert de tuiles plates à crochet. Les deux portails d’entrée est et sud sont en plein ceintre. Le portail sud est surplombé d’une bretèche qui confirme le caractère défensif de l’ouvrage. Au sous-sol, l’entrée (est) et la sortie (ouest) de l’eau se fait sous une arche en plein ceintre. Seule la composante bâtie du système hydraulique subsiste. Le canal d’amenée a été comblé. Son arrivée au moulin a pu être reconstruite à l’identique par deux murs de briques en forme d’entonnoir. Mais grâce à un dispositif de dérivation souterraine à partir d’une petite rivière, la Balerme, sousaffluent du Girou qui passe à quelques mètres du moulin, celui-ci peut à nouveau se mirer dans une eau retrouvée. Toute la mécanique ancienne a disparu. Les canaux de refuite se rejoignent dans un bassin qui restitue l’eau à la Balerme. C’est probablement vers le milieu du XVIIIème siècle qu’une troisième meule fut mise en service grâce à un tunnel de dérivation creusé à partir du bief d’amont.
L’intérieur de ce bâtiment a été, pour cause de ruine et de pillage, dévoyé de sa vocation industrielle. C’est désormais une habitation. Tous les matériaux utilisés sont anciens : pilier central en pierre, poutres solives et planchers en vieux chêne, menuiseries en noyer (neuf portes provenant de la démolition d’un immeuble du XVIIème), escalier à balustres Louis XIII. Ce fut pour ses sauveteurs le travail mais aussi la satisfaction d’une vie.
En guise de conclusion, nous empruntons à Benoît Dufournier ce qu’il écrit au sujet du moulin de Nagasse : “on a peine à concevoir qu’un simple outil de travail puisse échapper à son destin, sortir de son cadre et prétendre à mieux qu’à “servir” : un moulin aux allures de manoir semble un péché contre la logique. Lorsqu’on arrive devant Nagasse, on croit n’avoir devant soi qu’un exercice de charme purement gratuit”.
Henri Soulet – Article paru dans le Monde des Moulins – N°22 – octobre 2007
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