Le site des Moulins de France
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lahitte

Au cours de mes promenades, j’ai découvert une région qui me passionne. Elle a une particularité qui nous est chère, car on y trouve beaucoup de moulins. Elle se situe sur les derniers contreforts pyrénéens, là où les sommets viennent mourir dans un enchevêtrement de collines et de vallons recouverts de forêts qui semblent se disputer le moindre recoin avec les vertes prairies. Elle s’étend du plateau de Lannemezan en passant par Capvern, et, vient mourir dans la vallée de l’Adour à Bagnères : ce sont « Les Baronnies ». Ce nom Baronnies vient du fin fond des âges, à l’époque où cette région appartenait à quatre barons, qui étaient à peu près de force égale et demeuraient en paix, n’osant empiéter sur le territoire les uns des autres. Pour prouver leur bonne entente, tous les ans ils organisaient une journée de ripailles ; elle avait lieu sur un pont qui délimitait leurs quatre domaines. On y dressait une table en plein milieu et chacun y prenait place en faisant bien attention de rester sur son territoire. Conclusion : tout va bien mais chacun chez soi !

C’est dans ce petit coin de paradis que mon attention fut particulièrement attirée par un beau moulin qui était blotti entre la rivière et la route. Y étant passé plusieurs fois sans m’y arrêter, un beau jour, la tentation fut la plus forte et je frappais donc à la porte ; je me présentais comme un amoureux des moulins, tout en mettant notre association en avant. L’accueil fut plus que chaleureux et le couple d’anciens meuniers est naturellement devenu ami. A ce jour, je connais le moindre recoin de ce lieu passionnant, le moulin est très bien conservé ; il y avait trois paires de meules avec rouets en puits, chaque meule était réglée pour moudre un grain précis. A l’époque, les propriétaires vivaient presque en autarcie avec leur petit carré de froment, de maïs ou autres céréales ; il y avait toujours une meule qui tournait quand ce n’était pas toutes les trois. La puissance du torrent permettait aussi de faire fonctionner une scierie, élément spectaculaire et très important car durant l’hiver, elle tournait à plein régime. Les agriculteurs de la région avaient toujours quelques billes de bois à débiter. Ils les portaient souvent à l’avance, et le chantier était tellement encombré qu’il y avait du bois jusque de l’autre côté de la route. La scierie est du type battante : c’est-à-dire alternative. Le chariot a la particularité d’être en bois à trois griffes en fer ; l’amenée est automatiquement tirée par un câble d’acier, et c’est une roue à palettes de faible diamètre qui entraîne le tout ; sur le côté il y a aussi une scie circulaire servant à déligner les planches et mue par une roue du même genre.

A ce jour, le moulin et la scierie sont réduits au silence, certainement à tout jamais. Mais notre propriétaire très astucieux, a su tirer parti du site ; il a installé lui-même une turbine qui lui permet de faire tourner une génératrice munie d’un dégrillage automatique qu’il a lui-même mis au point. Le courant produit suffit à ses besoins. Tout en faisant la visite, le chien de la maison, genre petit roquet vif à l’oeil malin, se mit à aboyer en fixant les planches disjointes qui servaient de passage sur le canal. Etant surpris, le propriétaire me fit remarquer qu’il en avait après une truite, effectivement, il leva la planche et dans l’eau claire il y avait toute frétillante une belle truite pas du tout effarouchée ; il me soulignât qu’ils se connaissaient et que chaque fois qu’il passait par là c’était la même chose.

A chacune de mes visites, après avoir fait le tour du propriétaire, nous nous retrouvons devant le verre de l’amitié et là, on me raconte ce qu’était la vie au moulin du temps de ses parents, et la conversation tombe souvent sur un passage tout à fait insolite. Ça se passait du temps du père, dans les années cinquante. Claude avait un potager qui faisait son orgueil; il était tout en longueur, fait de bonne terre noire très fertile et longeait le canal d’amenée d’eau au moulin. Tout en bêchant son jardin, chaque fois qu’il trouvait un ver ou une courtilière, il les lançait instinctivement dans l’eau pensant nourrir les truites qui le peuplaient.

Un beau jour, s’approchant, il vit une truite qui n’était pas effarouchée et il lui apporta le premier insecte qu’il trouva : en effet, elle était là, qui attendait et cette scène se répéta les jours suivants. Le temps passant une sorte de complicité s’installa entre Claude et la jeune truitelle qui en le voyant arriver faisait une course effrénée et sautait hors de l’eau pour attraper les vers que Claude lui tendait. Les saisons et les années passèrent.

Cette truite avait pris une place importante dans la vie de notre ancien meunier. La truite de Claude était devenue une attraction pour ses proches car elle était devenue une grosse et belle truite. Elle arrivait à faire des sauts de près d’un mètre avec tellement de vigueur, allant jusqu’à mordre les doigts de son unique protecteur. Les membres de sa famille pouvaient lui lancer toutes sortes d’insectes, ils ne la voyaient jamais. Elle ne connaissait que son maître au pas ou à sa façon de marcher, elle ne se trompait jamais.

Le premier travail, sitôt levé, Claude prenait un morceau de pain avec fromage ou jambon et à la belle saison, il allait déjeuner le long du canal et on le voyait rayonnant quand la truite sautait hors de l’eau pour attraper le croûton qu’il lui tendait. Claude surveillait sa truite, quand il voyait un pécheur s’approcher un peu trop, il le priait d’aller plus loin. Un beau matin, plus de truite, Claude affolé commençât la prospection de tous les petits ruisseaux du coin et cela dura plusieurs jours. A force de sonder tous les recoins, il la retrouva et après maintes précautions réussit à la ramener au bercail. Et le train train reprit, mais quand même Claude était inquiet et son inquiétude était fondée, car un matin, la truite n’était plus là. Alors inlassablement, Claude prospecta pendant longtemps tous les cours d’eau de la région, en vain. Le doute s’installa : a-t-elle été victime d’un pécheur sans scrupule, ou avait-elle fait quelque rencontre et la nature avait-t-elle été la plus forte?

A partir de ce jour, notre homme tomba dans une grande tristesse, son entourage le voyait soucieux, se promenant le long du canal, son regard constamment fixé sur l’onde avec l’espoir de revoir sa truite qui, on s’en doute, avait été pour lui une belle histoire d’amour.

Ce récit nous prouve que l’amour peut se loger n’importe où et que le mot amour est le plus beau de notre langue, car le sentiment qu’il exprime est universel.

Jean Boizon – Article paru dans le Monde des Moulins – N°27 – janvier 2009

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