Introduction
La roue persane est une machine d’élévation mécanique de l’eau, opérée généralement par des animaux de trait (boeufs, buffl es, dromadaires). Elle est utilisée pour prélever l’eau de sources telles que les puits ouverts. Le terme sanskrit « Araghatta » a été utilisé dans les textes anciens pour décrire la roue persane. Il provient de la combinaison du mot « ara » qui signifi e rayon et « ghatta » qui signifi e pot.
Il semblerait que ce système d’élévation de l’eau de puits ouverts ait été inventé en Inde. Du fait de son utilisation et de sa « découverte » en Iran, alors la Perse, il a été nommé roue persane. Mais le célèbre écrivain et philosophe Ananda K. Coomaraswamy estime, dans sa monographie The Persian Wheel, que cela n’est pas justifi é puisqu’il en trouve mention dans les anciens textes indiens du Panchatantra (3ème siècle avant J.C.) et du Rajatarangini
(12ème siècle après J.C.) sous le nom de « cakka-vattakka » et « ghati yantra ».
Sur la route de Ranakpur à Udaipur Rajasthan – inde – roue type persane. Photo http://photos.linternaute.com – christian vilain
Le terme « araghatta » lui-même a fi ni par devenir « rahat » ou « reghat » en Inde du Nord, nom sous lequel il est toujours connu aujourd’hui. L’araghattika ou arahattiyanara représente la personne qui travaille sur un araghatta. Cette appellation était couramment utilisée au douzième siècle. Hommes, boeufs, éléphants ou dromadaires faisaient ce travail de marcher de manière circulaire pour activer le mécanisme d’élévation de l’eau.
Noria ou Saqia ?
La plus grande confusion existe parmi les auteurs et le grand public entre la roue hydraulique et la roue persane.
La roue hydraulique, ou noria, est peut-être une invention égyptienne. C’est un mécanisme d’élévation de l’eau d’un courant ou d’une rivière. Elle sert parfois aussi de moulin à eau mais elle est actionnée par l’eau et non par la force animale : elle utilise la force du courant pour mouvoir la roue et élever l’eau ou la transférer et transformer son énergie en une action de moudre, dans le cas du moulin. La roue persane, ou saqia, est un mécanisme d’élévation de l’eau installé sur le sol, davantage de la nature d’une pompe. Dans la région du Kolar, au Karnataka, elle est d’ailleurs appelée « pompe à seaux ». Elle n’utilise pas la force hydraulique mais la force animale pour élever l’eau des puits ouverts. Joseph Needham, dans Science and Civilisation in China, Vol. IV(2), donne une défi nition claire de ces deux techniques : les récipients de la noria sont fi xés à la jante de la roue alors que dans la saqia, ils sont fi xés à la corde ou à la chaîne entourant la roue (p. 356).
Hauteur de levage, fonctionnement et efficacité
La roue persane fonctionne généralement jusqu’à une profondeur maximale de 20 mètres, au-delà de laquelle le poids des godets devient trop lourd à lever pour les animaux de trait.
Le document de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) sur les outils de levage de l’eau est un excellent outil de comparaison de l’effi cacité des différentes machines élévatoires de l’eau. « La roue persane à sabots constitue une version très perfectionnée de la mohte [un outil de levage utilisant un sac en cuir et une corde tirée par un animal pour soulever l’eau]. En effet, sa chaîne de godets exerce une force pratiquement constante sur l’arbre moteur solidaire de la roue. Les roues persanes sont généralement actionnées par une double transmission à angle droit. Dans le premier modèle qui est le plus courant, l’arbre moteur de la roue secondaire de transmission est enterré sous le sol sur lequel les animaux font leur course circulaire. Dans ce cas, l’axe de la roue persane pourrait être fi xé aussi bas que possible afi n de réduire la hauteur d’élévation de l’eau. Le deuxième exemple est un mécanisme traditionnel d’une roue persane en bois, dans lequel les animaux passent sous l’arbre horizontal. La charge subie par la roue persane est pratiquement constante, par suite, l’animal peut établir un rythme de travail régulier et sans diffi culté, sans exiger une surveillance importante. »
« Les roues persanes et les norias ont un bon rendement mécanique. Cependant, les pertes d’eau sont inévitables lors de la montée du fait qu’une certaine quantité d’eau s’échappe obligatoirement des godets. D’autre part, des pertes d’énergie par frottement auront lieu lors du remplissage des godets qui est toujours accompagné d’un ralentissement du mouvement, ce qui entraîne une certaine chute du rendement. De plus, la roue persane doit élever l’eau au moins 1 m plus haut qu’il n’est nécessaire, avant son déversement dans l’auge. Il en résulte une augmentation notable inutile de la hauteur d’élévation, particulièrement aux faibles valeurs de celles-ci. Les roues persanes traditionnelles sont généralement d’un grand diamètre, afi n de pouvoir contenir une auge suffi samment grande pour collecter la majeure partie de l’eau déversée par les godets. »
Al-Jazari’s hydropowered. aqiya chain pumps – Photo http://ookaboo.com
Usage ancien de la roue persane
Omniprésent en Inde pendant longtemps, de même que les puits ouverts, l’usage de la roue persane était très répandu aux 9ème et 10ème siècles, particulièrement dans la région du Rajasthan. En 1920, on dénombrait 600 roues persanes dans la seule région de l’Haryana.
Les forts traditionnels de l’Inde ancienne étaient perchés sur des collines ou des citadelles rocheuses. La récolte de l’eau de pluie était répandue mais également l’usage des roues persanes afi n d’élever l’eau des lacs en contrebas. Les forts de Golconde près d’Hyderabad (Andhra Pradesh) et de Jodhpur (Rajasthan) en sont deux exemples. Mais là aussi, les systèmes traditionnels ont été retirés et il n’est plus possible d’observer comment les anciens les utilisaient. A Pedgaon, dans le district d’Ahmednagar (Maharashtra) une grande roue persane en usage jusqu’en 1850 environ, apportait également l’eau de la rivière Bhima jusqu’au fort et à la cité.
Usage actuel de la roue persane
La roue persane existe toujours dans certaines régions de l’Inde, en particulier dans le sud et l’est du Rajasthan, l’Etat du Jharkhand et dans la plaine indo-gangétique où les aquifères souterrains sont toujours peu profonds. Dans les
régions les plus pauvres de l’Inde où l’électricité fait défaut, les roues persanes sont toujours en usage. Ainsi, dans l’Etat du Jharkhand qui est peu électrifi é et où le prix du diesel est trop élevé pour la population pauvre, les pompes
ne peuvent pas être utilisées. Les roues persanes constituent donc toujours la principale machine d’élévation de l’eau. Au Pakistan, les roues persanes continuent d’être utilisées dans les Provinces du Pendjab et du Sind.
En dehors de ces régions, l’araghatta a pratiquement disparu avec la baisse du niveau des nappes phréatiques dans de nombreuses régions de l’Inde et l’arrivée des pompes actionnées par moteur électriques et diesel. De nombreuses roues persanes restent abandonnées dans des régions telles que Kolar (Karnataka) où le niveau des nappes phréatiques a beaucoup baissé. Des roues qui avaient servi durant les 80 dernières années sont désormais démantelées et vendues aux ferrailleurs. La dernière fabrique de roues persanes a déjà fermé en 1982.
Conclusion
La roue persane est peut-être en fait la roue indienne. L’« araghatta » a représenté une grande avancée dans les techniques hydrauliques agricoles et un progrès technologique dans l’utilisation massive de l’eau. La généralisation
de l’irrigation a été rendue possible grâce à l’utilisation de la force motrice animale et cette évolution technique a permis d’étendre l’irrigation à de plus grandes superficies.
Mais les roues persanes sont devenues à la fois inutiles avec la baisse du niveau des nappes phréatiques et obsolètes avec l’arrivée des pompes électriques, plus effi caces en termes de rendement et de coûts.
Pourtant, la roue persane représente aussi un héritage de la civilisation indienne. Il semble donc impératif de documenter et de préserver la connaissance autour de cet instrument qui est à la fois un outil technique et un indicateur écologique de disponibilité de l’eau aux niveaux superfi ciels.
Il apparaît aujourd’hui nécessaire de travailler avec les paysans pour assurer une utilisation effi cace de l’eau et permettre aux roues persanes, qui sont un symbole d’utilisation durable et sans carbone de l’eau, de perdurer.
Car, avec sa disparition progressive, c’est une culture écologique de l’eau et une histoire d’au moins 1200 ans qui s’évanouiraient.
Srikantaiah VISHWANATH – Article paru dans le Monde des Moulins – N°38 – octobre 2011
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