Le site des Moulins de France
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Le Monde Des Moulins de mai 2002 vous annonçait un évènement sans précédent : LE COLLOQUE INTERNATIONAL DES MEULES, à la Ferté Sous Jouarre, Seine et Marne ; haut lieu mondial d’extraction de la pierre meulière. Il s’est déroulé fin mai, à l’initiative de Mouette BARBOFF, ethnologue, présidente de l’Association Europe Civilisation de Pain et François SIGAUT Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences Sociales.
La Ville de la Ferté-sous-Jouarre, le Conseil Général de Seine-et Marne, en plus des partenaires associatifs bien connus telles les Associations Rouergate et Picarde des Amis des Moulins ont apporté leur soutien financier. D’autres ont concouru au moyen d’études et de recherches historiques techniques ou scientifiques.
Ces quatre journées furent menées de mains de maîtres ; bien organisées, riches d’enseignements et d’échanges entre participants venus pour certains de pays lointains.
Anglais, Suisses, Espagnols, Slovènes, Italiens, Français, Grecs, Chypriotes, Belges, Américains etc sont venus parler archéologie, histoire, minéralogie, ethnologie. Tous ont pu améliorer leurs connaissances, partager leur savoir, exprimer les savoir-faire locaux. Devant l’intérêt des liens tissés entre les participants, il est probable qu’un second colloque soit organisé en Europe…..

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les hommes étaient deux à porter et quatre à les soutenir

Plus de quarante conférences furent données. Etoffées de projections sur écran géant , elles permirent d’affronter plus facilement la barrière des langues (souvent traduites en français ou Anglais). Quelques associations Françaises ont présenté des communications de valeur : Benoît Deffontaines Meules Brigault St Mars La Pile Henri Geist Carrières de meules au cap d’Ail, littoral méditerranéens etc. . Jacques Beauvois ouvrit tout grand son Ecomusée de l’Industrie Meulière (Ecomusée de l’industrie
meulière – Les poupelins reuil en brie 77 Saâsy sur Marne 06 70 01 07 35) que certains qualifient de sanctuaire des maîtres carriers et meuliers. Ce passionné offre au visiteur une exposition unique en France par l’importance et la diversité des objets et matériels exposés. On y découvre une multitude d’informations très précises sur le passé meulier.

La FDMF a brillamment représenté notre pays, ses meules et ses moulins par de multiples interventions de ses membres : Jean -Pierre Azéma, carrières et diffusion de meules dans le département de l’Ardèche, ainsi qu’une magnifique projection
commentée sur les meules en France et dans le monde entre 1900 et 1930. Maryse Deschamps, extraction et façonnage des meules en Savoie.
Stéphane Mary, Les meules métalliques et machines de moulins à la fin du XIXème siècle . Des planches photos commentées, remarquables, furent visionnées.
Marc Dannenhoffer , afficha pour l’AVAM une exposition intéressante sur les moulins à meules en Vendée. Yves RUEL fit une présentation contemporaine d’un travail qu’il a élaboré sur informatique : simulation du travail de meules rayonnées selon la “technique de Paradis” : Chacun sait qu’en position de travail, les meules gardent jalousement secret l’effet de croisement des rayons et l’évolution de la mouture. La simulation d’Yves Ruel a aidé à réaliser ce vieux rêve de multiples générations de meuniers : voir ce qui se passe, observer la meule courante par transparence, en action. Sur une maquette virtuelle de deux meules en mouvement furent visualisés divers paramètres considérés comme fondamentaux :effets centrifuges, croisement et
pente des rayons de meules, rhabillures sur les portants.

Ces présentations historiques, scientifiques, géologiques, virtuelles furent complétées de l’exposé mettant en rapport l’intérêt et la nature des meules avec la qualité du produit transformé. Jean Moreau a travaillé de longs mois à cette étude (qui est loin d’atteindre son terme….) dont nous vous livrons un extrait.

Voyage au coeur d’un moulin à meules

Evolution et transformation du produit entre les meules : commentaire sur l’action des meules de nature différente, étude et analyses comparatives des résultats sur la mouture.

Préambule

La présente étude a pour objectif de faire découvrir, perpétuer et enrichir les savoir faire de conduite des meules à blé et contribuer ainsi à apporter aux moulins traditionnels une justification économique de leur sauvegarde ;
Je ne cacherai pas mon émotion d’avoir eu le privilège de présenter la technique de ces meules qui oeuvraient encore dans près de cent mille moulins français voilà un peu plus d’un siècle. Cette assemblée permanente de 200 personnes comptait dans ces participants d’éminents scientifiques et de grands professionnels de la meunerie contemporaine qui n’hésitaient pas à poser les questions les plus pointues.

Au gré des siècles, chercheurs et ingénieurs, tels l’américain EVANS et aussi DARBLAY, DEZOBRY, PARADIS s’employèrent à améliorer les techniques destinées à transformer le blé en farine. Les rayons sont creusés à même les surfaces travaillantes des meules à blé. Ils furent l’objet de nombreux essais quant à leurs formes, leurs profondeurs : courbes, obliques, tangents.

Les meules à blé, généralement en silex ont longtemps écrasé cette céréale en un seul passage. Pour cela, il a fallu étudier les phénomènes mécaniques et rechercher le principe optimal d’extraction des farines et de curage des sons (les sons doivent être exempts de farine et non brisés). La difficulté majeure à surmonter était de limiter l’échauffement lié à la pression des meules sur la mouture. Il fallait donc imaginer un système complexe de rayons qui allait participer à la ventilation de l’entre meules et à la fois, à l’avancée progressive de la matière vers la périphérie.
Ainsi, avec le temps, (qui contribue souvent à l’optimisation des techniques) presque tous les meuliers et meuniers adoptèrent la taille de PARADIS.

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J.P.Azéma mesure une grande meule à la Ferté-sous-Jouarre (2,10m diamètre) – photo Jean Moreau

Dans un souci de conforter le savoir-faire et améliorer la pratique par une connaissance plus fine du travail des meules, j’ai décidé de mener une étude approfondie du travail effectué à partir de cette technique de « PARADIS », en trois étapes successives :
1) Simulation du travail à la meule (Simulation informatique du Président RUEL)
2) Vérification de la simulation par des observations physiques sur le réel ;
3) Analyses physicochimiques de produits de meules obtenus selon un protocole.

Vérification de la simulation par de examens physiques

Observations du transit de la mouture : Je me suis d’abord livré à des observations physiques sur le comportement de la mouture : de l’oeillard à la feuillère. Pour cela, il était nécessaire d’illustrer le transit de la mouture, au moyen de prélèvements (en blé & farine) effectués dans cinq orifices creusés à même le silex de la meule dormante. Ceux-ci sont disposés régulièrement de l’entrée du blé et la périphérie du tournant. Il fallut procéder à plusieurs essais pour s’assurer d’une constance dans les prélèvements. Ainsi, on peut déterminer l’évolution de la mouture avec grande précision.
– J’ai alors présenté à l’écran et en réel les constats détaillés de l’évolution.

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rayonnage de PARADIS – illustration collection Jean

Observation de l’influence des portants : Fut ensuite réalisée une étude comparative de l’influence de l’état de surface différent de trois paires de meules ayant poids et diamètre identiques. Deux d’entres elles, conçues en carreaux de silex (l’une assez éveillée ou rude, l’autre très lisse) et la troisième en aggloméré d’Épernon (Moulins de Nieul, de l’Ecornerie, de Fillé sur Sarthe). Les farines furent obtenues dans le respect d’un même protocole de mouture afin de neutraliser l’influence des autres paramètres. J’ai pu constater que les taux d’extraction de farines et le pourcentage d’issues présentent des variations significatives d’une paire de meules à l’autre, ainsi que les besoins en énergie destinée à faire mouvoir le tournant. Les taux de cendres et les colorimétries accusent des différences sensibles. Ces éléments influent sur les valeurs plastiques et fermentatives. Les analyses chimiques et les essais de panifications comparatives qui vont suivre sont évidemment de nature à accorder les plus larges interprétations en matière de résultats et surtout de conduite de meules. Le constat est bien dressé !

Etude physico-chimique

Les échantillons de farine types 65 et type 80 sont produits en mouture basse, en un seul passage, à l’ancienne. A ma demande, les Laboratoires de l’Ecole Nationale de Meunerie et de l’Industrie des Céréales ont effectué l’étude physico-chimique des
trois moutures citées ci-dessus plus une mouture sur appareils à cylindres. Elle avait pour objet la définition des spécificités des farines produites sur des meules différentes, en mouture basse, en un seul passage, c’est à dire “à l’ancienne”.
Le professeur Sophie Berland (ENSMIC) eut mission de relever les taux de cendres et la colorimétrie des échantillons.
Le Professeur Hubert CHIRON (INRA) accepta de me fournir de nombreuses prises de vue macro et microscopiques, à la recherche des amidons endommagés et des protéines.
Le professeur Daniel Moreau (ENSMIC) a exprimé les résultats comparatifs de l’étude que j’avais sollicitée sur ces quatre farines :
Recherche des protéines, alvéométrie, humidité, temps de chute d’hagberg, acidités grasses, compta. des bactéries lactiques, recherche des levures naturelles. S’en suivirent les panifications comparatives à la boulangerie des laboratoires de l’Ensmic. Les résultats furent riches d’enseignements malgré les méthodes actuelles de notations du pain qui ne sont pas totalement adaptées aux productions “à l’ancienne” de farine sur meules. Par exemple la notion de goût et d’arômes n’entre pas dans les évaluations, ce qui représente pourtant l’essentiel des motivations du retour au travail artisanal ! Je ne désespère pas de mettre en place, dans l’avenir, un panel de dégustation large… tant les notions de goût et d’arômes sont subjectives mais d’intérêt
général !
Il reste ainsi un travail important et passionnant à effectuer, tant en observations interprétées qu’en recherches approfondies. A l’issue, nous pourrons peut-être optimiser scientifiquement le travail sur meules en prenant en compte la nature et l’aspect des pierres qui les composent . Rêvons enfin de maîtriser la conduite des meules et moulins artisanaux en fonction des qualités de moutures souhaitées.

A l’issue de ce colloque, je crois pouvoir confirmer d’ores et déjà que mes observations s’accordent avec le constat de l’éminent Docteur Lenglet, président de la ligue du pain naturel (1931) et attestent que les travaux pénibles des meuliers, au fond des
carrières ou en ateliers ne furent pas vains : grâce à des meules adroitement rayonnées et bien conduites, il est possible de fournir directement, en un seul passage une farine de grande qualité. Amon sens, aucun mouvement mécanique n’est aussi conforme aux dispositions naturelles du grain et propice aux exigences de la mouture quand celle-ci cherche à conserver dans la farine un maximum d’éléments nobles émanant de l’assise protéique et du germe.
Et de conclure avec Lanza del Vasto : “Le but du travail n’est pas tant de faire des objets que de faire des hommes, l’homme se fait en faisant quelque chose”.

Jean Moreau – Article paru dans le Monde des Moulins – N°2 – septembre 2002

Catégories : Histoire

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