Le site des Moulins de France
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Marseille est-elle traversée par un fleuve ? Étrange question pour un Marseillais. Réponses hésitantes : « je crois… ou… je ne sais pas ».
À Aubagne, première ville d’importance que l’on croise en remontant le cours du fleuve, la même question posée aux Aubagnais donnera des réponses plus affirmatives. Quelquesuns pourtant répondront : « je crois… peut-être… »
Il faut poursuivre dans les villages plus en amont pour que la question devienne incongrue. L’Huveaune coule au pied des maisons. Elle fait partie de l’histoire et du quotidien des villageois. Roquevaire, Auriol, Saint-Zacharie vivent avec le fleuve et lui ont conservé un attachement viscéral.

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Le Moulin de la Peyronne en 2009. Photo Claude Carbonnell

Si elle n’avait pas ses particularités assez exceptionnelles, l’Huveaune, ce petit fleuve côtier de la Méditerranée, serait à ranger dans le lot commun des fleuves de ce type. Il coule sur une cinquantaine de kilomètres. Il prend sa source au coeur du château d’eau de la Basse-Provence, le massif de la Sainte Baume. À la fin de son parcours, il traverse sur 7,5 km les quartiers est de Marseille. Du Stade Vélodrome, guidé par un émissaire jouxtant celui des égouts de la ville depuis 1976, il disparaît sur 5 km pour rejoindre, par une bouche taillée dans la falaise, la mer Méditerranée, à un endroit discret, inaccessible et peu ragoûtant : la Calanque de Cortiou.
Voilà sommairement décrit ce qui fut depuis le IXe siècle, l’objet des préoccupations majeures des élites de la vallée de l’Huveaune et notamment marseillaises. L’Huveaune aujourd’hui ignorée, laissée depuis la fin du XIXe siècle à la merci des rejets domestiques et industriels, a été pendant des siècles indispensable à la vie. Son eau était consommée, elle irriguait les terres cultivées et surtout elle fournissait l’énergie indispensable à l’artisanat local et aux manufactures.
Dès l’antiquité, les Romains, venus à la demande des Phocéens au IIIe siècle av. J-C, utilisèrent la force motrice de l’Huveaune. Il faut attendre pourtant le Xe siècle et la montée en puissance des « moines bâtisseurs » de Saint-Victor pour que la vallée de l’Huveaune, marécageuse et insalubre, soit aménagée pour l’agriculture. Le lit du fleuve, capricieux et changeant à chaque crue, fut stabilisé, les biefs furent creusés pour assurer l’irrigation des cultures et le fonctionnement des moulins nécessaires à la transformation des produits agricoles.

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Graphisme Claude Carbonnell

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Graphisme Claude Carbonnell

Les moines, par leur compétence, leur capacité à entreprendre et à gérer, devinrent rapidement indispensables et incontournables. Ils accumulèrent par le jeu des dons, des infortunes de riches propriétaires, d’héritages sans descendance et des transferts de pouvoir entre abbayes, une fortune colossale. Au XIIe siècle, l’Abbaye de Saint-Victor régnait sur plusieurs domaines, de l’Auvergne à la Sardaigne en passant par tout le pourtour méditerranéen allant de Tolède à Nice.

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Le Moulin de la Peyronne. La cheminée installée fin XIXe siècle. Photo Claude Carbonnell

Leur pouvoir s’appuyait sur une structuration rigoureusement contrôlée des aménagements et des règles strictes imposées à leurs utilisateurs. Le maillage des monastères judicieusement répartis sur le territoire leur assurait l’efficacité de ce contrôle.
C’est ainsi que les moulins étaient disposés, pour leur grande majorité, en série au long des grands biefs installés par les moines. Cette disposition contraignante en gestion avait le gros avantage de la maîtrise de l’ensemble du fonctionnement des moulins et des martelières d’irrigation. Les conflits nés de ce type d’organisation étaient gérés par les moines qui imposaient des sanctions sévères de privation de droits aux contrevenants.
Dès le XVIe siècle, la puissance de l’Abbaye décrut. Quelques entrepreneurs, commerçants, aristocrates, souhaitaient sortir du joug bénédictin. Dès lors, d’autres moulins s’installèrent le long du fleuve, alimentés chacun par un bief, souvent sur la rive opposée à celle où se trouvait le bief historique.
C’est pourtant à la Révolution que les grandes familles de commerçants marseillais et d’aristocrates réchappés de la purge royaliste s’approprièrent le patrimoine foncier des moulins.
Dans le même temps, le phénomène décrit plus haut s’accentua et la construction de moulins à bief unique s’intensifia.
Voilà donc une des particularités de l’Huveaune.
Au XVIIIe siècle, on y comptait 63 moulins sur 40 km, soit en moyenne un moulin tous les 650 m. Le record à Marseille étant de 23 moulins sur 10 km de parcours. La plupart de ces moulins, avec des fortunes diverses, cessèrent leurs activités après la deuxième guerre mondiale, l’énergie hydraulique étant, malgré la vapeur puis l’électricité, utilisée jusqu’au terme de leur activité.
Il est donc facile d’imaginer l’importance du fleuve dans la vie économique de la vallée.
Dans les zones à forte poussée démographique, notamment sur Marseille, 90 % d’entre eux ont été purement et simplement détruits, le reste ayant été réhabilité en immeubles d’habitation.
Dans les villages, nombreux sont les bâtiments qui ont trouvé une vocation sociale, culturelle ou éducative. Hélas, seul leur nom est resté. Les intérieurs ont été débarrassés de leurs attributs industriels (roues, outillages, machines) et furent reconfigurés pour leur nouvelle destination.
Aujourd’hui, rescapé de ce riche patrimoine disparu, le Moulin de la Peyronne, à Aubagne, reste le seul et unique témoignage de cette histoire industrielle basée sur l’énergie hydraulique. Il est en grand danger (voir le dernier chapitre de cet article).

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Le Moulin de la Peyronne. Moulin vu du côté Nord. Photo Claude Carbonnell

Les moulins d’Aubagne

Les moulins sur le grand bief

Le Moulin Neuf
Il fut acheté par la commune en 1582 moyennant une redevance annuelle de 100 charges de blé et 12 chapons. Il reste aujourd’hui les vestiges de ses murs. Il cessa de fonctionner au milieu du XIXe siècle.

Moulin de Roubaud
En 1212, on retrouve les traces du Moulin de Roubaud dans l’acte de partage de la Vicomté de Marseille. Il est acheté par la commune en 1552. L’actuel bâtiment fut construit en 1850 par Jean-Henri Lescot. Ce dernier dota l’usine de deux chaudières et d’une machine à vapeur. De 1891 à 1937, il demeure minoterie. Il cessa ses activités quelques temps après, en 1954.

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Le Moulin de la Peyronne. La roue Hydraulique de 4,50 m de diamètre et 3,50 m de largeur. Photo Claude Carbonnell

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Le Moulin de la Peyronne. La trémie d’ensachage des produits en poudre. Photo Claude Carbonnell

Le Moulin de Canonicat ou Moulin d’Aval
À l’origine, en 1212, c’était un moulin à farine. Il fut transformé en paroir à draps et en martinet (marteau-pilon), puis en fabrique à papier. Il redevint moulin à farine vers 1802. En 1838, il devint filature de coton, puis en 1847, verrerie, et en 1883, il fut transformé en fabrique de chaux hydraulique qui fonctionna jusqu’en 1950.

Le Moulin IMBS
Dès le XVe siècle, des tanneries occupaient le lieu. En 1830, la tannerie IMBS employait 44 ouvriers et produisait près de 14 000 peaux de bovins, 3000 quintaux de tan et 250 quintaux d’huile et de suif. L’usine fut fermée car souillant trop les eaux de l’Huveaune. En 1877, l’usine ouvrit à nouveau avec l’engagement de décanter et filtrer les eaux de rejet. La production fut augmentée et employa jusqu’à 120 ouvriers, puis déclina pour aboutir en 1937 à sa cessation. L’activité reprit toutefois pour cesser définitivement en 1974.

Le Moulin Monier
En 1817, Joseph Monier construisit ce moulin pour le compte du Marquis de Beausset. En 1921, ce moulin devint le plus important moulin à huile de la ville. Il employait 8 ouvriers. Il servit aussi, selon la petite-fille de Charles Monier, à fouler les pommes pour la
fabrication de cidre.

Les moulins sur l’Huveaune (biefs dédiés)

Le Moulin de La Rusque (tan en provençal)
En 1841, Ferdinand Monier fut autorisé à agrandir l’usine qu’il venait d’acheter au Sieur Louis Rey, menuisier. En 1842, il obtint l’autorisation de mettre en activité deux meules destinées au broyage des matières minérales et végétales : briques et pierres pour le ciment, et écorces de chêne et de pin pour la tannerie. En 1849, l’usine fonctionne toujours comme moulin à tan, et cela jusque dans les années 1940 où il retrouve son activité première de scierie. Il cesse toute activité en 1965. Aujourd’hui, un commerce de bazar est installé dans ses murs.

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Le Moulin de la Peyronne. Le multiplicateur par 4 de la vitesse utile. Photo Claude Carbonnell

L’usine REY
En 1836, c’était une scie à eau. Il semble que l’activité de cette usine n’ait jamais changé. Le dernier propriétaire Fedele Ebé a perpétué le travail du bois jusqu’en 1970, date de la fermeture de l’usine. Une des dernières activités était la fabrique de boîtes à dattes.

L’usine Auffren
Construit en 1801 avec les pierres du château seigneurial d’Aubagne, le moulin a été acquis en 1793 par Sieur Auffren, tanneur à Marseille. Il commença ses activités de tannerie en 1805. En 1824, une activité de filature de laine compléta la production du moulin. En 1844, l’activité évolua en filature de coton et tissanderie, employant plus de 60 personnes sur 4 métiers à filer le coton et 11 métiers à tisser la toile. En 1893, le nouveau propriétaire, J-B. Long, transforma l’usine en scierie qui fonctionnera jusqu’en 1904.

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Le Moulin de la Peyronne. Les 4 paires de meules de concassage et les mécanismes d’entraînement. Photo Claude Carbonnell

Le Moulin du Canedel ou Moulin Roman
Il fut édifié en 1876. Il fonctionna en scierie jusqu’en 1882. Après cette date, il fut transformé en minoterie, tenue par Romain Roman, puis par son fils (1890-1910) et sa veuve (1910-1923). Le petit-fils, Jean Roman, en assura le fonctionnement jusqu’en 1968. Le bâtiment a été depuis rénové, dans le respect de son architecture industrielle, et transformé en bureaux. Il abrite aujourd’hui un cabinet d’experts-comptables dont l’adresse est « Le Moulin – La Tourtelle ».

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Le Moulin de la Peyronne. La salle d’expédition des produits en poudre. Photo Claude Carbonnell

Le Moulin de La Peyronne ou de La Fortunée
Il est situé à l’ouest de la ville. En 1843, De Roux, propriétaire du domaine de La Peyronne, demanda l’autorisation de construire un barrage et une filature à coton. La puissance de l’eau à cet endroit permettait d’obtenir 17 ch. En 1861, une ordonnance autorisa
des changements dans le régime hydraulique, ce qui permit d’étendre les activités du moulin à la minoterie et à la fabrique de ciment.
En 1903, il s’agissait sûrement de la minoterie La Fortunée, qui cessa de fonctionner dans les années 1910. Vers 1930, il devint une usine de broyage et concassage, complété par de l’énergie thermique et électrique. On y fabriqua du carrelage en granito jusqu’en 1954.
Le mécanisme hydraulique est encore visible. Il témoigne de la puissance qui pouvait être générée par le moulin et du savoir-faire des constructeurs de cette époque (Roues dentées en fonte moulée de 3 m de diamètre, système d’engrenages surprenants par leurs dimensions).
En 2010, la fabrique de peintures CAMI employant plus de 50 personnes cesse son activité.
L’ensemble des bâtiments et des terrains sont alors acquis par la Communauté d’Agglomération du Pays d’Aubagne. Le projet de la collectivité est d’y installer le futur centre de maintenance du tramway dont elle a décidé d’équiper la ville. Une partie des terrains sera destinée à l’immobilier.
Nos associations, et notamment l’Association Chantepierre, ayant travaillé sur l’ensemble des moulins de la vallée et ayant découvert ce site au témoignage exceptionnel, se battent pour que le moulin soit conservé. Elles obtiennent gain de cause.
Un projet d’écomusée et centre de ressources pédagogiques est élaboré. Il fait l’objet d’un dossier complet décrivant les objectifs et les installations. Lorsque les travaux du centre de maintenance débutent, les vibrations dues au chantier ébranlent le bâtiment dont un toit s’écroule début 2013. N’étant plus hors d’eau, les dégradations s’accélèrent. Malgré toutes les demandes faites au propriétaire du moulin (l’agglomération), rien n’est fait pour le préserver.
Les travaux du complexe immobilier le jouxtant contribuent à condamner le moulin, au point qu’en décembre 2014 une délibération du Conseil de l’Agglomération en ordonne la démolition.
Une forte mobilisation associative, appuyée par une pétition en ligne, permet d’éviter le vote en l’état de cette délibération et retarde la décision. Le Collectif des Associations de l’Huveaune obtient une nouvelle expertise qui devra être plus indépendante des intérêts du promoteur. Il alerte toutes les autorités locales et régionales et tous les services de l’État. Il diffuse le plus largement possible le projet de réhabilitation du moulin. À l’heure de la rédaction de cet article (fin janvier 2015) la nouvelle expertise est en cours.

Claude CARBONNELL, Président de l’Association Chantepierre et animateur du Collectif Associations Huveaune
Article paru dans Le Monde des Moulins N°52 – Avril 2015

Catégories : Histoire

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