Dernier meunier du Moulin des Chaumettes, sur la commune de Langeron, dans la Nièvre, M. Copin nous y accueille en compagnie de sa femme et de sa fille.
Langeron est une toute petite commune de la Nièvre ; elle jouxte St-Pierre-le-Moûtier, mieux connue des amis des moulins pour son fameux moulin à vent restauré et visitable, et pour une ancienne huilerie qui devrait bientôt bénéficier du même sort. On est ici dans une contrée où la meunerie traditionnelle a été mise à mal dès les années 1890 : à cette époque, St-Pierre-le-Moûtier a disposé de plusieurs moulins à vapeur ultramodernes, à cylindres, qui ont provoqué la ruine des moulins à vent, mais aussi la mise en difficulté des quelques moulins à eau.
Vue exterieure et reserve d’eau – Photo P. Landry
Le Moulin des Chaumettes a une vieille histoire : indiqué sur la carte de Cassini, il comptait 15 habitants en 1896. C’est un tout petit moulin qui nous surprend par la “banalité” de sa forme, a priori un long bâtiment rural à un seul étage. Le seul fait curieux est qu’en fait le dessin du bâtiment principal est celui qu’on lui voit lorsque l’ingénieur des eaux prépare le règlement d’eau en 1855. La roue est sur le côté gauche du dessin. Ce qui a été ajouté plus tard, c’est un retour d’angle au-dessus de la goulotte d’arrivée de l’eau, laquelle en somme surmonte la chambre de la turbine qui, un jour, a remplacé la roue. La partie moulin sera désormais dans ce retour d’angle. Elle est sur trois niveaux, mais chacun très bas de plafond. Tout en haut, une aire de stockage ;
au premier, l’espace de mouture avec deux paires de meules, et au rez-de-chaussée, l’aire de réception de la farine, où autrefois était le rouet de fosse (supprimé depuis le remplacement de la roue par une turbine en 1951).
La chute est de 4 m ; la roue était à augets et en fer ; quand elle tournait, ses vibrations faisaient tinter la vaisselle disposée sur le buffet. La turbine a été achetée à la maison Pignare, d’Auxerre. Il y a eu, très anciennement, une machine à vapeur, dont M. Copin nous montre l’emplacement. Pour la monter jusque-là, il y avait heureusement un plan incliné ; cependant, on a dû la faire tracter par des bœufs. Elle a été remplacée par un moteur à essence puis un moteur électrique.
Joseph Copin – Photo P. Landry
Les deux paires de meules sont de belle taille :
1,60 m de diamètre (chaque meule pèse évidemment plus d’une tonne). Pour les “rhabiller”, il fallait bien deux personnes toute une journée. On voit bien le “levier” qui sert à régler la meule travaillante pour qu’elle tourne bien droit (afin qu’elle ne se coince pas sur la dormante) : on appelle cet instrument une “épée de trempure”.
Au retour de la guerre de 1914-18, son grand-père a été embauché comme commis meunier à ce Moulin des Chaumettes. Puis il l’a acheté en 1920. Au début, à l’aide de ses deux paires de meules, il a travaillé le grain de blé panifiable et les céréales secondaires pour les animaux. Mais, n’ayant pas de cylindres, il a sagement renoncé à travailler le blé dès 1928. Il a alors vécu en ajoutant à la mouture des céréales secondaires le commerce des issues (par exemple le son), et en revendant le tourteau acheté à l’huilerie Léveillé de St-Pierre-le-Moûtier, celle-là même appelée à devenir un musée. Notons qu’entre temps, le grand-père a acheté l’autre moulin subsistant à Langeron, celui de Dhéré, en 1925, dont il ne reste qu’une seule paire de meules et une bluterie, et qui donc a œuvré les mêmes céréales, cela jusqu’en 1939 (sa roue a depuis disparu).
Courrier Huilerie Leveille – Photo P. Landry
On trouvait facilement à cette époque, dans le commerce, de petits moulins “domestiques” ou portatifs : de nombreux agriculteurs en ont acheté, réduisant la clientèle des moulins tels que ceux de Langeron.
Puis le père de M. Copin a pris le relais. Comme il a été mobilisé à la déclaration de guerre en 1939, c’est notre hôte qui a dû assumer la tâche, alors que, né en 1925, il n’avait que 14-15 ans.
Ce fut une période rude. Une fois de plus, on retrouve un moulin travaillant le blé pour la population locale, clandestinement, de préférence la nuit. M. Copin père n’avait pas le droit de le faire puisque, ayant cessé de moudre le blé avant 1935, il n’avait pas eu de contingent. Mais la pression du public l’a mené à en faire un peu. Évidemment, un dimanche, un contrôleur s’est invité ; M. Copin a eu une amende, tous les sacs ont été réquisitionnés et envoyés à la coopérative.
Quelques années plus tard, notre hôte de ce jour assurera la succession de son père. Il y œuvrait jusqu’à 150 kg par jour. Il ne ferma le moulin qu’en 1985.
Caisse farinière – Photo P. Landry
Benne trémie archure mailloche – Photo P. Landry
M. Copin nous montre les bennes en bois où il jetait le grain à moudre, ainsi que la caisse où arrivait la mouture qu’il ramassait avec une pelle pour la mettre dans les sacs : rien d’automatique. Il fabriquait ses alluchons lui-même, à la main. Il s’obligeait à livrer son produit chez les agriculteurs. Son père l’avait fait avec un cheval et un char à bancs, mais les avait remplacés par une camionnette Torpédo en 1930. M. Copin conserve beaucoup de sacs avec un nom de moulin (dont un aux “Quatre roues”, qui était situé à Montargis). Il nous expose le sens d’une expression insolite : “faire la catin”. C’était attacher le sac (!).
Sac 4 Roues – Photo P. Landry
Clochette – Photo P. Landry
Lampe a pétrole – Photo P. Landry
Dans le moulin, demeurent des objets qui font un tantinet « antique », mais qui y furent nécessaires : la petite clochette qui alertait le meunier quand la benne était vide, le vieux compteur électrique et une lampe à pétrole ou à huile que l’électricité ne chassa jamais tout à fait. Le tableau représentant le moulin est d’un peintre amateur du voisinage.
Tableau amateur du moulin – Photo P. Landry
Philippe Landry et une équipe de l’Association Moulins du Morvan et de la Nièvre
Paru dans le Monde des Moulins n°58 – Octobre 2016
0 commentaire