Le site des Moulins de France
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La chanson « Meunier, tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite … », l’adage « être au four et au moulin » ou même l’expression plus ambiguë : « rouler dans la farine « , suggèrent, quoiqu’on en dise ou médise, l’activité intense qui régnait jadis au moulin.

Effectivement, le meunier n’avait pas trop de ses deux bras, de ses deux jambes, de son fils et de son âne pour faire face à ses multiples obligations ! Plus ouvert au progrès technique que le meunier de La Fontaine, il mit en oeuvre, très vite, quelques outils remarquables pour lui simplifier l’existence : nettoyage du grain, chargement des trémies, blutage de la farine, sélection du son, mise en sac, nécessitaient un va-et-vient assuré par le portage à dos d’homme et l’utilisation systématique de la gravité.
Ainsi apparurent :
• pour les transferts horizontaux : le diable, les vis d’Archimède en bois puis en tôle
• pour les transferts verticaux : les chaînes à godets, les montesacs (certains préfèrent utiliser le mot « tire-sacs »), dans les sites d’accès difficile et fort dénivelé, les « téléphériques » dont le chariot, sur deux câbles (guide et porteur), se tracte par treuil et un troisième câble
• puis, avec l’essor des minoteries : les « aspirateurs » véhiculant dans des gaines étanches grains et farines, rendant obsolètes tous les systèmes précédents sauf, peut-être, ce fameux diable !!

Ce raccourci est incomplet et trop schématique, mais il nous rappelle l’existence des monte-sacs, objet de cet exposé rédigé à la faveur de la découverte de l’un d’entre eux, pas comme les autres : celui du moulin de Crest-Voland, dans les Alpes savoyardes.
Nous examinerons successivement :
I – La population de moulins concernés
II – Le type le plus courant de monte-sacs
III – Les variantes que nous connaissons
IV – Le monte-sacs du moulin de Crest-Voland

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I- Population concernée

soixante dix neuf moulins à farine (ou ce qui en reste) ont été visités et chiffrés :
• 45 en Savoie et Haute-Savoie (moulins à eau)
• 29 dans d’autres départements (4 moulins à vent et 25 moulins à eau, mais aucun au sud de la Lozère)
• 5 chez nos voisins : 1 en Belgique (moulin à vent), 4 en Valais suisse (moulins à eau).

Sur ces soixante dix neuf moulins visités:
• 23 ne sont pas équipés de monte-sacs, celui-ci sans véritable utilité puisqu’il s’agit de moulins de montagne, à surface au sol réduite (20 à 30 m2), à un et parfois deux
niveaux de construction, le plus souvent équipés de roues hydrauliques horizontales
• 27 autres ont perdu leur monte-sacs, à moins qu’il n’ait échappé à nos investigations
• 12 en sont équipés mais le monte-sacs n’a pas pu faire l’objet d’un relevé
• 16 possèdent un monte-sacs identifié et mesuré
• 1 se sert d’un « téléphérique » (Flumet, en Savoie).
L’étude ne concerne donc que seize montesacs, population à priori trop peu nombreuse pour en tirer des conclusions valables.
Cependant, nous voyons apparaître des tendances, nous distinguons les familles :
• 13 sur seize utilisent le même mécanisme. Nous les appellerons monte-sacs « type »
• 2 autres exploitent une variante de ce modèle.
• Le dernier, à Crest-Voland, s’en distingue plus nettement encore.

II- Monte-sacs « type », (Schéma n° 1)

éléments du monte-sacs « type » Sur un châssis porteur, deux poulies lisses P1 et P2 sont reliées par courroie flottante.
P1 est moteur, P2 est montée sur le même axe que le tambour-enrouleur entraînant la corde ou la chaîne du sac.
Un levier de commande actionne le galet-tendeur dont le rôle est de plaquer avec suffisamment de force la courroie sur les deux poulies pour que P1 puisse entraîner P2, l’enrouleur, et donc obtenir la montée du sac.

Fonctionnement
Au repos, le propre poids du levier de commande du galet l’éloigne de la courroie. Celle-ci n’est pas tendue, la poulie P1 tourne sans entraîner P2.
Montée et descente du sac : le meunier actionne la corde reliée au levier de commande du galet-tendeur. Celui- ci tend la courroie entre les deux poulies jusqu’au contact. Un effort supplémentaire sur la corde augmente l’adhérence de la courroie sur les deux poulies, jusqu’à vaincre le poids du sac, assurer l’entraînement de P2, et la montée du sac.
On a alors : un couple moteur (tension de courroie x rayon de P2) plus grand que le couple résistant (poids du sac x rayon du tambourenrouleur). Au-delà de chaque plancher franchi par le sac, les trappes se referment d’elles-mêmes.
• si le meunier relâche progressivement sa traction sur la corde, l’adhérence de la courroie va diminuer en proportion, jusqu’à l’équilibre et à la stabilisation du sac.
• si le meunier relâche encore légèrement la tension sur la corde, les conditions d’adhérence diminuent de nouveau jusqu’à faire patiner la poulie P2 puis inverser son mouvement sous le poids du sac, provoquant sa descente contrôlée.
• encore un peu de patience et voilà le sac reposant, gentiment, sur les trappes qui se sont refermées l’instant d’avant.

Compléments à l’équipement habituel
1- certains monte-sacs ont été dotés d’un frein monté sur l’axe du tambour-enrouleur, pour assurer un verrouillage ferme, indépendant du poids et de la position du sac.
Le même frein, installé directement sur le rouet d’arbre des moulins à vent, permet le blocage des ailes et du mécanisme, sécurité oblige.
2- l’axe du tambour-enrouleur peut également recevoir une poulie à gorge spéciale, munie d’une corde sans fin, permettant la commande manuelle et directe de l’enrouleur.

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III- Variantes (Schéma n°2)

Poulies P1 et P2, courroie d’embrayage-débrayage et galet-tendeur sont remplacés :
• soit par un engrenage classique, (vu sur moulin à vent)
• soit par un couple de poulies à profils complémentaires en contact direct : l’une, motrice, « à gorge », l’autre, « à cône », s’engageant directement dans la gorge (poulies
métalliques)
Il n’y a plus d’embrayage progressif, le système fonctionnant par tout ou rien.
C’est l’axe du tambour-enrouleur, porteur d’un des deux engrenages ou de la poulie « à cône » qui pivote pour engager ou désengager l’élément complémentaire.

IV- Monte-sacs du moulin de Crest-Voland (Savoie)
(Schéma n°3 et photos page 20 )

Le monte-sacs dessert :
• le rez-de-chaussée, (turbines, mécanismes, stockage), hauteur : 2,24 m
• la salle des meules, (2 paires de meules, potence, tours à bois), hauteur : 2,46 m
• les combles, (monte-sacs, blutoir, stockage des pièces tournées)
L’enrouleur du monte-sacs est à 1,66 m du plancher actuel.
Point commun avec le « type de base » : les deux poulies lisses P1 et P2 reliées par une courroie flottante, pour l’embrayage-débrayage et la montée-descente, le galet-tendeur de la courroie disparaît.

Des éléments nouveaux :
1- Un cadre « tendeur » remplace le galet. Il pivote sur deux tourillons et paliers reposant sur la charpente.
Ce cadre supporte la poulie P2 et le levier de commande.
2- Un étage supplémentaire dans la chaîne cinématique. Dans le système de base, la poulie embrayable P2 est montée sur l’axe de l’enrouleur. à Crest-Voland, la poulie P2
entraîne non l’enrouleur, mais une poulie P3 reliée par chaîne à une poulie P4 solidaire de l’arbre d’enrouleur.
3- Une roue à rochet et cliquet de blocage à la descente.

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Fonctionnement
— au repos : la courroie d’embrayage (entre P1 et P2) et la chaîne de transmission (entre P3 et P4) sont flottantes.
— au levage d’un sac : l’action sur le bras de commande provoque la rotation du cadre.
L’ensemble des poulies P1 et P2 pivote avec lui s’éloigne de P1 jusqu’à tendre la courroie et assurer l’embrayage de P2 avec P1-P3 tournant avec P2, entraîne la chaîne de transmission et P4, lorsque le couple moteur est supérieur au couple résistant exercé par le sac sur le tambour-enrouleur.
— montée et descente du sac sont possibles, comme pour le monte-sacs « type ». Pas de frein, mais, sur l’arbre enrouleur, une roue à rochet de sécurité, bloquée par cliquet à la descente.
Sur rupture de courroie motrice, ou si l’on relâche sa tension, le cliquet se rabat sur l’une des huit dents du rochet, soit une chute ou un recul maximum du sac de 5 cm avant l’arrêt par le cliquet.
En outre, l’opérateur peut monter manuellement et sans trop de peine la même charge, en agissant directement sur la poulie P4 : le rapport de démultiplication est favorable ainsi que la position de P4, à hauteur d’épaule et à proximité immédiate de la roue à rochet comme du cliquet.

Construction
L’ensemble est amarré à la poutraison du moulin. Tous les éléments du monte-sacs sont en bois, exception faite, bien sûr, de la courroie et des deux chaînes.
— cadre tendeur : 150 x 54, hauteur 12 cm. L’axe de rotation (tourillon en bois de 10 cm de diamètre) est à 2,40 m du plancher, et l’arbre enrouleur à 1,65 m. Entre les
deux axes, une distance de 3,24 m. 
— poulies lisses P1 et P2 : diamètres de 15 cm pour P1 et 47 cm pour P2. Rayon de pivotement de P2 : 36 cm, largeur de courroie de 6 cm, diamètre des poulies sur le système type : 50 à 80 (P1 et P2 identiques) et courroie de 10 à 15 cm de large.
— poulies à gorge P3 et P4 : diamètres de 34 cm (P3) et 91 cm (P4), entraxe : 2,88 m. Composées de deux plans (trois éléments chacun) de planches assemblées à 90°,
épaisseur totale 7,5 mm, et liaison par pointes en acier de diamètre 6 mm, dont l’extrémité est rabattue sur le flanc de poulie. Ces pointes font saillie d’un bon millimètre
en fond de gorge, sans que l’on puisse leur imputer une meilleure adhérence de la chaîne.
— gorges coniques, profondes de 3,7 cm et ouvertes à 60° environ.
— chaînes de transmission et de sacs, identiques : maillons à double boucle nouée et non soudée (voir photos) longueur extérieure : 63 mm, largeur 16 mm, fil d’acier
de diamètre 4 mm, poids au mètre : 0,40 kg 
— roue à rochet : diamètre extérieur de 34 cm, largeur 5 cm en deux épaisseurs. 8 crans dont les faces radiales servant de butées au cliquet, ont une hauteur de 2,7 cm.
— arbre enrouleur : long de 3,55 m, à section carrée 12×12 au niveau de P4, puis octogonale sur le rochet et enfin circulaire au diamètre de 12 cm pour servir d’enrouleur
à la chaîne de sac.

Comparaison avec le monte-sacs « type »
1- Implantation
— un monte-sacs « type » occupe un volume moyen de 1,00 x 0,80 sur 1,80 m de haut. Le monte-sacs de Crest-Voland demande plus de place pour son installation : surface
au sol : 4,70 x 3,55 m – hauteur au plancher : 2,80 m, en négligeant les poulies de renvoi de la commande.
— la totalité du dispositif, très accessible, est logée dans les combles. Le monte-sacs « type », avec ou sans châssis, est isolé le plus souvent de sa poulie motrice P1 accrochée sous le plancher des combles.

2- Construction
Artisanale et originale à Crest-Voland, elle est réalisée entièrement en bois d’épicéa, abondant aux alentours.
Le monte-sacs « type » utilise, dans la plupart des cas, des produits manufacturés, châssis coulé, poulies acier ou fonte, dont le coût est, de toute évidence, plus élevé.

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Maillon de chaîne

3- Tension sur la courroie d’embrayage Nous découvrons, ici, deux étages de démultiplication, dont un rapport de 7,6 entre l’enrouleur et sa poulie (2 à 4 sur les systèmes « type ») d’où la facilité de manoeuvre manuelle grâce à ce premier et important rapport, une réduction des tensions sur l’organe de fatigue, la courroie.
Pour une tension de 100 kg sur la chaîne supportant le sac, on atteint, suivant les cas, 25 à 50 kg sur la courroie d’un monte-sacs « type ».
à Crest-Voland, sur la chaîne de transmission : 100 x 12/91 = 13 kg et sur la courroie 13 x 34/47 = 9,4 kg.
La courroie, organe de fatigue, est moins sollicitée : d’ailleurs, la largeur de courroie n’est plus que de 6 cm pour 10 à 15 cm sur les autres modèles. La sensibilité à la commande d’embrayage est plus délicate à estimer, le rapport de démultiplication étant favorable (9,6 pour 2 à 4,5 dans le système « type »), mais nous n’avons pas pu effectuer de mesures comparatives précises.

4- Transmission.
Jusque dans les années 50, paysans, transporteurs et meuniers manipulaient couramment des sacs de 80 et 100 kg, charges prévues à l’époque pour ce monte-sacs. Les essais du 11 juillet 2013 ont prouvé que le système entraîne, sans défaillance, une charge de 75 kg. La transmission par chaîne (non tendue sur  le brin de retour) et poulies à gorge, s’effectue dans de bonnes conditions : pas de traces de glissement ou d’usure ponctuelle dans les gorges en bois des poulies.
C’est sur la chaîne de sacs, logiquement, que l’on découvre les traces les plus marquées d’usure.

5- Vitesse de montée des sacs
Les meules du moulin sont entraînées par une turbine Girard horizontale de 1,24 m de diamètre extérieur et soixante aubes, avec un rapport de transmission de un pour les meules.
Lorsque le meunier utilise le monte-sacs pendant la mouture, soit 100 tours/min sur les meules tournantes, la vitesse de montée d’un sac, faible, se situe autour de 3,4 m/mn ou 5,6 cm/sec (conséquence d’une démultiplication plus importante qu’ailleurs). Sur les monte-sacs « type », avec les mêmes bases de calcul, on trouve des vitesses nettement supérieures : de 14 à 30 m/min , dont nous ne sommes pas certains qu’elles aient été utilisées comme telles.

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Cadre, poulie motrice P1, poulies réceptrices P2 et P3

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Arbre enrouleur, poulie P4, roue à rochet, levier de commande et trappe

Conclusion
Le monte-sacs du moulin de Crest-Voland, petit chef-d’oeuvre artisanal, fait manifestement preuve d’originalité.
S’il assure toutes les possibilités fonctionnelles du modèle « type », il tourne résolument le dos à la tradition, sans que l’on sache, il faut bien l’avouer, la genèse de sa construction et les raisons précises qui ont guidé son architecte.
Mêmes questions pour le type de chaîne utilisé, son choix, la méthode de fabrication. Certains meuniers, lecteurs du « Monde des Moulins », nous combleraient en donnant, par le biais de la Revue, leur avis d’expert sur ce type de monte-sacs.
Leur expérience nous aiderait peut être à lever le voile sur les quelques zones d’ombre de cette curieuse réalisation.

H. Ruaux, des Amis des Moulins Savoyards, avec l’aide et l’amabilité de M. et Mme Carrera – Paru dans Le monde des moulins N°46 – octobre 2013

Catégories : Technique

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