Le site des Moulins de France
ArabicBasqueBelarusianBulgarianCatalanChinese (Simplified)CzechDanishDutchEnglishFinnishFrenchGermanGreekHebrewHungarianItalianJapaneseLithuanianNorwegianPersianPolishPortugueseRomanianRussianSpanishSwedishTurkishUkrainian

On pouvait trouver des moulins à vent pour traiter la canne à sucre dans la plupart des îles des Caraïbes, en particulier à La Barbade (qui comptait 506 moulins à vent en 1846) ainsi qu’à Antigua et, dans une moindre mesure, à Sainte-Croix (115 moulins à vent déjà en 1796). Certaines parties de la Guadeloupe avaient également une forte densité de ces moulins (notamment l’île de Marie-Galante, connue sous le nom d’Île aux cent moulins). Ces îles avaient des facteurs communs : elles étaient toutes de faible altitude et étaient largement dépourvues d’arbres. De plus, les alizés venaient principalement d’une seule direction, de sorte que des moulins à vent étaient construits sur les côtes, face au vent. Des moulins à vent sucriers étaient également utilisés dans certains pays producteurs de sucre sur le continent de l’Amérique centrale et du Sud.
La source d’énergie devait être fiable, sinon les planteurs risquaient de gâcher leur récolte. La teneur en sucre de la canne, une fois coupée, se détériore rapidement. La canne à sucre doit donc être traitée le plus tôt possible, le stockage n’étant pas réalisable. Pour cette raison, les moulins à sucre entraînés par des animaux étaient très courants, même si ce type de moulin était lent et nécessitait de nombreux bœufs ou chevaux (et plusieurs hommes) pour fonctionner. Sur les îles montagneuses aux eaux abondantes, comme la Jamaïque et la Martinique, le moulin à eau sucrier était populaire. Des ensembles de moulins, comme, par exemple, deux moulins à traction animale et un moulin à vent, ou encore un moulin à traction animale et un moulin à eau, étaient également assez courants, afin de garantir que la canne à sucre puisse être traitée dès que coupée. De nos jours, il ne subsiste plus que quelques moulins à vent sucriers complets, comme le Moulin Morgan Lewis à la Barbade, le Moulin de Betty’s Hope à Antigua, le Moulin Whip Estate et le Moulin Bézard à Marie-Galante.

Le moulin à vent sucrier horizontal

Ce type de moulin a été décrit par Jean-Baptiste Labat. Il a probablement été utilisé dans la seconde moitié du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, puis progressivement remplacé par le moulin à sucre vertical. Labat (1663-1738) était un prêtre français, résidant aux Antilles de 1694 à 1705. Il possédait une plantation sur l’île de la Martinique, il a modernisé et développé l’industrie sucrière de l’île, voyagé aux Antilles, et publié enfin ses expériences dans Nouveau Voyage aux isles françoises de l’Amérique (Paris, 1722). Cet ouvrage, composé de six volumes, fut un best-seller au XVIIIe siècle, et il fut traduit en néerlandais et en allemand. Il contient, entre autres, des descriptions détaillées de tous les aspects du processus de fabrication du sucre et des moulins utilisés pour le produire.

Labat mentionne qu’il avait vu deux moulins à vent, un du côté anglais de Saint-Christophe et un en Martinique, qui ne différaient guère de ceux que l’on voyait autour de Paris pour moudre le grain, sauf qu’ils étaient munis de rouleaux, plaqués de fer, au lieu de meules.
Il décrit ensuite des moulins qui auraient été construits par les Anglais sur l’île de Saint-Christophe, à la manière des moulins à blé du Portugal, qui sont des moulins horizontaux.
Ce type de moulin à sucre horizontal est illustré sur la figure 1 et la figure 2.

Fig. 1. Le Moulin à vent portugais tel que représenté par Jean-Baptiste Labat

Chacune des huit ailes mesure 8 pieds de haut et 4 à 5 pieds de large. De plus, le moulin comporte huit planches pour guider le vent sur les ailes (ces planches ne sont pas représentées sur la figure 1). Selon Labat, chaque planche est aussi haute que les ailes et a une largeur qui est égale à la distance entre les bords extérieurs de deux ailes successives. Elle est placée parallèlement à l’aile précédant celle dont l’ouverture doit être couverte, comme montré sur la figure 2. De cette façon, le vent peut venir de n’importe quelle direction. Les planches sont fixes et ne tournent pas. Pour arrêter le moulin, des panneaux coulissants étaient placés devant les ailes du côté d’où venait le vent.

Fig. 2. Disposition des planches pour guider le vent dans un moulin sucrier horizontal

Labat mentionne également qu’il existe un autre type de moulin à vent sur l’île de la Barbade, mais comme il n’a jamais eu l’occasion d’en voir un, il ne peut rien en dire. Très probablement, il fait référence au moulin à vent vertical qui va être décrit dans ce qui suit.

Le moulin à vent sucrier vertical

Le type de moulin à vent sucrier le plus connu est le moulin à vent vertical constitué d’une tour en pierre et d’un toit pivotant. Les premiers moulins à vent de ce type ont été construits à La Barbade dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Dans la période allant jusqu’à environ 1800, ces moulins avaient tous trois rouleaux alignés verticalement pour broyer la canne. Un excellent dessin de ce type de moulin, reproduit sur la figure 3, date de 1797 et a été réalisé par Peter Lotharius Oxholm (1753-1827). Oxholm était un officier de l’armée danoise, gouverneur général des Antilles danoises et il possédait aussi une plantation de canne à sucre.

Le dessin de la figure 3 est accompagné de la description et de la remarque suivantes :

  • les ailes du moulin (a) qui tournent sur l’arbre (b) à l’autre extrémité duquel se trouve le rouet (c), appelé la « noix », qui engrène sur la roue dentée (d) montée sur le rouleau central(e) dont les dents s’engagent sur le rouleau à sucre (f) et le rouleau à bagasse (g)
  • le « pont »(h) sur lequel se trouve une auge en plomb, qui recueille le jus. Ce jus tombe ensuite dans le réservoir (i) à partir duquel il est évacué par le conduit (k) vers la salle d’ébullition
  • le mur du moulin (l)
  • le premier étage (m) où sont stockés les cordes et les autres outils
  • l’étage supérieur (n) pour superviser le travail
  • le gouvernail (o)
  • le toit du moulin (p)
  • le palier (q) sur lequel repose et tourne l’extrémité avant de l’arbre
  • le châssis de support [ou « potence »] (r), sur lequel repose et tourne l’autre extrémité de l’arbre
  • un petit escalier (s) et un trou (t) servant à l’évacuation de la bagasse hors du moulin
  • une plate-forme inclinée (u) permettant l’accès au moulin

Remarque : la canne à sucre, insérée entre les rouleaux par les esclaves, était broyée deux fois, :

  • La première, entre le rouleau central (e) et le rouleau à sucre (f) ; la canne ainsi écrasée était ensuite reprise à l’arrière des rouleaux et insérée entre le rouleau central (e) et le rouleau de bagasse (g) pour le second broyage.
  • Après le second broyage, la canne broyée, appelée bagasse, était retirée du moulin par le petit escalier (s), et laissée au soleil pour sécher avant d’être utilisée, plus tard, comme combustible dans la chambre d’ébullition.

Fig. 3. Moulin à vent sucrier dessiné par Oxholm en 1797.

Les tours des moulins comportaient un certain nombre d’ouvertures pour des fonctions opérationnelles spécifiques, telles que :

  • l’entrée, l’ouverture la plus large, située à l’arrière. Elle était utilisée pour introduire la canne dans le moulin. Devant l’entrée, il y avait généralement une sorte de rampe d’accès ou d’escalier
  • la sortie bagasse pour évacuer la canne à sucre broyée du moulin
  • l’ouverture de la boîte à jus, d’où le jus de canne allait vers la salle d’ébullition
  • la fente d’échange, l’ouverture la plus haute, qui était utilisée pour changer l’arbre vertical et d’autres grandes pièces du moulin
  • une petite ouverture dans le haut de la tour pour fournir de la lumière lors de l’inspection et de la lubrification, et aussi pour assurer la ventilation
  • une ouverture pour une cloche (voir figure 4) utilisée pour annoncer les changements d’équipes de travail et les pauses.

Fig. 4. La cloche, ainsi que le toit typique du moulin à sucre. Coll. de l’auteur

Avoir des ouvertures positionnées de manière fixe comme l’entrée du moulin et la sortie de la bagasse était possible en raison des alizés dominants du nord-est-est. Les ailes étaient ainsi toujours plus ou moins de ce même côté et l’ouverture d’entrée sur le côté opposé.
Certains moulins avaient un « trou à feu » construit à l’intérieur et qui était utilisé pour fournir de la lumière dans le moulin lors du broyage de nuit. C’était comme une petite grotte encastrée dans le mur, un peu plus haut que la hauteur d’un homme (voir figure 5)

Fig. 5. Un bel exemple de trou à feu (photo Agnes Meeker).

Une tour en pierre devait être très bien construite pour avoir les ouvertures requises et résister aux tremblements de terre. Dans la seconde moitié du XVIIe et au XVIIIe siècles, les plantations étaient petites comme l’étaient les tours de moulins. Au XIXe siècle, les plantations sont devenues plus grandes, de même que les moulins. Le plus grand avait une hauteur d’environ 15 m.
Une autre caractéristique typique du moulin à sucre, du moins à la Barbade et à Antigua, est la forme du toit. Il ressemble à une petite maison faite pour s’adapter sur le mur de la tour ronde (voir figure 4). En fait, c’est, d’un point de vue technique, la construction la plus logique compte tenu de la petite taille du rouet sur l’arbre et de l’absence de frein.
En Guadeloupe et Marie-Galante et probablement sur quelques autres territoires français, un autre type de toit, de forme conique, a été utilisé, plus ou moins du même type que celui utilisé sur les moulins à vent en France. La figure 9 (p.31) en montre un bel exemple.
Le moulin n’avait pas de frein, probablement en raison de la petite taille du rouet. Il y avait deux façons d’arrêter le moulin : la première consistait à tourner les ailes hors du vent, généralement vers le sud (mais cela nécessitait 4 à 5 hommes pour le faire), et la seconde consistait à suralimenter les rouleaux en canne à sucre. Lorsqu’un tel moulin à vent est mis hors vent, on peut se demander ce qu’il advient des toiles sur les ailes. La figure 6 montre la manière dont celles-ci sont fixées sur les ailes. Chaque troisième ou quatrième barreau de l’aile est attaché à l’avant des cotrets de telle manière que la toile puisse être enfilée derrière ce barreau. Lorsque le moulin est mis à l’abri du vent, les barreaux empêchent ainsi les toiles d’être emportées par le vent. Cette figure montre également que le toit ne peut pas être entièrement tourné (c’est-à-dire de 360°) à cause de l’annexe implantée à l’arrière du bâtiment (dont le rôle est expliqué dans la suite de l’article).
Pour éviter tout dommage dû aux ouragans, les toiles elles-mêmes n’étaient normalement installées que pendant la saison des récoltes. Sur la même figure 6, on peut aussi voir que les ailes étaient montées sur des vergues conventionnelles, engagées par mortaises dans la tête de l’arbre en bois où elles étaient serrées et correctement fixées avec des cales en bois.

Fig. 6. Deux moulins à vent sucriers à la Barbade, montrant les détails des ailes (avec l’aimable autorisation de The Caribbean. Photo Archive)

Fig. 6. Deux moulins à vent sucriers à la Barbade, montrant les détails des ailes (avec l’aimable autorisation de The Caribbean. Photo Archive)

Broyeur à rouleaux verticaux

Comme mentionné précédemment, jusqu’aux environs de 1800, tous les moulins avaient trois rouleaux de broyage verticaux, placés sur une rangée, comme le montre clairement la figure 3. Le rouleau du milieu était directement relié à l’arbre principal. La vitesse de rotation des rouleaux était 4 à 7 fois inférieure à la vitesse de l’arbre principal. Les premiers rouleaux étaient uniquement en bois mais, plus tard, ils furent recouverts de plaques et de barres de fer, mais toujours avec des dents en bois. Suite à un brevet de 1722, des rouleaux monoblocs en fonte sont devenus disponibles, avec des rouages et des goujons (source Deerr, 1950).
La canne à sucre était d’abord introduite sur le côté avant (c’est-à-dire à partir de la porte d’entrée) entre le rouleau central et le second rouleau. Ensuite, les cannes écrasées étaient reprises et réinsérées par l’arrière, entre le rouleau central et le troisième rouleau. Cela signifiait qu’au moins deux personnes étaient nécessaires pour alimenter les rouleaux. Une invention permit d’économiser du travail le « retourneur muet », un dispositif semi-circulaire monté à l’arrière des rouleaux, qui renvoyait automatiquement la canne, déjà écrasée entre le rouleau central et le premier rouleau, vers le rouleau central et le troisième rouleau pour le deuxième écrasement. Alimenter le moulin avec de la canne à sucre était un travail dangereux : beaucoup d’esclaves ont perdu un bras, happé entre les rouleaux, dans un moment d’inattention. L’arrêt instantané du moulin n’était en effet pas possible.

Broyeur à rouleaux horizontaux

Le passage des rouleaux verticaux aux rouleaux horizontaux a représenté une avancée majeure qui est intervenue vers 1800. Fondamentalement, le broyeur à rouleaux horizontaux se composait de trois rouleaux métalliques en fonte disposés en triangle, comme le montre la figure 7.

Fig. 7. Broyeur de Rousselot, 1871

Cette transition de l’ancien système au nouveau signifiait en fait le remplacement d’un dispositif, constitué de lourdes poutres en bois tenant les rouleaux verticaux en place et intégrés à l’intérieur du moulin, par un dispositif en fonte qu’il suffisait de fixer au sol, à l’intérieur ou à l’extérieur de la tour du moulin. De plus, les pièces mobiles en bois, telles que les arbres et le train d’engrenages, étaient remplacées par des pièces en fonte. Dans certains moulins à vent, le broyeur à rouleaux horizontaux pouvait tenir à l’intérieur du moulin et laisser suffisamment de place pour les travailleurs, mais dans d’autres cas, l’appareil était installé à l’extérieur du moulin sous un toit à pignon. Cela était possible car, en raison de la direction nord-est-est des alizés dominants, les ailes étaient toujours plus ou moins orientées du même côté, à savoir du côté opposé au dispositif de broyage.
Une goulotte à gravité ou un banc pouvaient être utilisés, ce qui rendait l’alimentation du moulin beaucoup plus sûre. La figure 8 montre un moulin à sucre équipé d’un broyeur de canne horizontal installé à l’extérieur et équipé d’un banc pour son alimentation. La femme à droite de la photo emporte la bagasse, qui sera utilisée comme combustible dans le processus d’ébullition.

Fig.8. Spring Hall, Sainte-Lucie, La Barbade. Broyeur à rouleaux horizontaux, placé à l’extérieur du moulin, avec son banc d’alimentation. (avec l’aimable autorisation de The Caribbean Photo Archive)

Le Moulin Bézard sur l’île de Marie-Galante, représenté sur les figures 9 à 12, est un exemple de moulin à vent sucrier remarquablement complet, avec le broyeur à rouleaux horizontal placé à l’extérieur.

Fig. 9. Le Moulin Bézard sur l’île de Marie-Galante. Coll. de l’auteur

Fig. 10. Le broyeur à rouleaux horizontaux. Coll. de l’auteur

Fig. 11. L’engrenage conique pour entraîner le broyeur. Coll. de l’auteur

Fig. 12. L’arbre moteur et la transmission à l’arbre vertical. Coll. de l’auteur

Un exemple de moulin à vent avec le broyeur à rouleaux horizontaux placé à l’intérieur est le moulin à sucre de Betty’s Hope à Antigua. La figure 13 montre le broyeur horizontal à travers la porte d’entrée.

Fig. 13. Le broyeur de cannes dans le Moulin de Betty’s Hope. Coll. de l’auteur

L’introduction des rouleaux horizontaux s’est avérée être la dernière d’une série d’améliorations du moulin à sucre. Petit à petit, la machine à vapeur a remplacé le moulin à vent. Ce nouveau moyen d’entraînement a permis d’augmenter la taille et le nombre de rouleaux, et ce faisant, d’augmenter la capacité et l’efficacité du processus d’extraction du jus.

Bibliographie
Dash J. Sydney, The Windmills and Copper Walls of Barbados, Journal of the Barbados Museum and Historical Society XXI, mai 1965 p 43-60
Deerr Noel, The History of Sugar Volumes 1 and 2, Chapman and Hall Ltd, Londres, 1949 et 1950
Deerr Noel et Brooks Alexander, The Evolution of the Sugar Cane Mill, Article lu au Chartered Institute of Patent Agents, Londres, 9 octobre 1940
Labat Jean-Baptiste, Nouveau voyage aux îles de l’Amérique, 1722
Meeker Agnes, Plantations of Antigua Volumes 1, 2 and 3, AuthorHouse, 2017, 2018 et 2020
Rey-Hulman Diana, Au vent du moulin Bézard Capesterre de Marie-Galante, Omcs et L’Harmattan, Paris, 1996
Wailes Rex, Windmills and Steam Power in Barbados, Extrait de Transactions of the Newcomen Society Vol XLII, 1969-70, p 127-148

Willem van Bergen,
président de TIMS (The International
Molinology Society)
Traduit de l’anglais par Michel Lajoie-Mazenc

Paru dans Le Monde des Moulins n°78 d’octobre 2021

Catégories : HistoireTechnique

0 commentaire

Laisser un commentaire

Avatar placeholder

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *