Le site des Moulins de France
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Les carrières de meules à moulins de Saint-Crépin-de-Richemont – Brantôme (Dordogne)

Panneau d’accueil à l’entrée du sentier de découverte

Un peu d’histoire et de géographie
Pourquoi des tireurs de meules à Saint-Crépin-de-Richemont ?

La commune de Saint-Crépin-de-Richemont recèle un nombre important de tailleries de meules à moulin, réparties sur tout son territoire. Elles sont situées sur les parties hautes de la commune, dans les couches sédimentaires qui se sont déposées sur le socle crétacé, pendant l’ère tertiaire (éocène ou pliocène), à partir de dépôts d’éléments fins, notamment de la silice, du quartz, agglomérés avec des éléments grossiers en provenance de l’érosion du Massif Central. Ces sédiments, soulevés sur les hauteurs au moment du plissement alpin, forment ainsi des roches d’une bonne dureté, tout à fait propices à la fabrication de meules à moulin. 

Tombées dans l’oubli malgré la présence de meules demeurées sur place, elles ont d’abord fait l’objet de prospection pédestre, suite à la tempête de 1999, qui a permis de recenser plus de quinze sites d’extraction sur une superficie d’environ 130 ha. Un projet de mise en valeur sous l’impulsion de la commune, appuyé par la DRAC, a abouti, dans un premier temps, à la création d’un sentier d’interprétation composé de douze panneaux retraçant l’histoire technique, économique et sociale de ces carrières. Dans un deuxième temps, des fouilles archéologiques, actuellement en cours, permettent d’enrichir leur connaissance. 

Que sont ces meulières ?

Quelques fragments de meules va-et-vient (partie plate et molette) permettent de dater l’exploitation de ces carrières depuis l’antiquité (néolithique). Dans des « fossottes » clairement visibles, on peut observer de nombreuses ébauches de meules rotatives de type gallo-romain de 50 à 60 cm, montrant une activité importante à l’époque gallo-romaine. 

Puis, à l’époque médiévale, des meules de plus grande dimension, de 1,50 à 1,60 m de diamètre, sont apparues en raison du développement du moulin banal. De nombreuses meules de ce type sont visibles sur plusieurs de ces carrières, et en particulier, sur le sentier de découverte. 

Les fouilles actuellement en cours ont permis de dégager quelques outils, mais aussi des fragments de poterie et de céramique. 

ébauche de meule romaine

Les carrières, dont les fosses sont souvent en partie comblées, permettent de comprendre les modes d’extraction. Pour les meules gallo-romaines, extraction d’abord de blocs cubiques, et façonnage ensuite à proximité de la carrière, grâce à différents outils (marteaux, broches, ciseaux…). Pour les meules dites modernes : extraction et façonnage sur place, tours d’extraction… Des milliers de meules ont été extraites et ont connu une large diffusion dans le Périgord et au-delà, en Charente et dans le Limousin.  

Meule moderne sur le circuit

Par ailleurs, ces roches constituent les matériaux de construction de Saint-Crépin-de-Richemont, et on trouve, dans le village, des demi-meules, formant les seuils ou linteaux des maisons les plus anciennes. Elles ont aussi permis la fabrication de nombreux matériaux domestiques (éviers, auges…).

Ce site est un site majeur de la façade atlantique, par sa dimension et la continuité d’exploitation, du néolithique jusqu’au milieu du 19e siècle.

Mais qui était donc ce peuple des carrières ?

Le peuple des carrières

L’analyse de plusieurs centaines d’actes notariés des 16e, 17e et 18e siècles, relevés aux Archives départementales de Dordogne, ont permis de préciser les modes de travail, les conditions de vie, la vie sociale de ces hommes. Nous en donnerons quelques exemples et extraits qui illustreront les propos suivants. 

Les meules étaient taillées par des artisans spécialisés : les maîtres meuliers. Détenteurs d’un savoir-faire très poussé, ils possédaient leur propre matériel : « roqs ou peyrières à tirer des meules », cordes pour tirer et évacuer les meules, mais les louaient le plus souvent aux seigneurs des châteaux de La Barde ou de Richemont, auxquels ils versaient quelques poignées de pièces en guise de loyer. Certains, parmi les plus aisés, possédaient aussi leur propre forge pour affûter les pics. Une trentaine de familles de Saint-Crépin vivaient de cette activité, en complétant leurs salaires par la culture des terres et le ramassage des châtaignes. 

Leur logement n’avait rien d’un manoir ! Une ou deux pièces où s’entassaient les paillasses et quelques ustensiles de cuisine, plus un réduit pour les poules et le cochon, composaient leur modeste logis. On les reconnaît aujourd’hui aux meules réutilisées dans les murs, en guise de seuils de portes ou de foyers de cheminées, ou encore, en mode de pavements de l’allée conduisant à la maison.

La vie du peuple des carrières

On peut considérer trois catégories d’acteurs essentiels : les propriétaires, les tireurs de meules et les marchands.

Avant la Révolution, et sans doute aussi au Moyen Âge,  les carrières sont la propriété des seigneurs locaux, le comte de Richemont et le seigneur de La Barde.

Les carrières font partie de leur fondalité (droit à percevoir par le seigneur). Le seigneur perçoit une rente annuelle (10 livres par an pour une partie de la Grande Peyrière des Brageaux, carrière appartenant au seigneur de La Barde). Il loue la carrière à un meulier, suffisamment riche pour être sûr d’être payé, moyennant un droit de tirage. 

Ces meuliers bénéficient jusqu’au XVIe siècle d’un statut favorable, car ils ont une forte technicité et les meules coûtent cher. Le prix d’une meule correspond alors au prix d’une maison.

L’aperçu des dynasties de Peyrier(s) montre bien qu’il s’agit le plus souvent d’une activité familiale. De nombreux contrats précisent les engagements réciproques à l’intérieur d’une même famille.

À partir du XVIIe siècle, les meuliers s’appauvrissent, par exemple :

Le 25/01/1699 « Léonard Guilhomot peirier aux Âges hypothèque à Benoît Gay greffier de Saint-Crépin une terre de chaume… pour délivrance de blé mesture pour sa nourriture et l’entretien de sa famille.»

Le 1/04/1699 les époux Bouthet vendent à Benoît Gay (greffier de Saint-Crépin) une maison à Saint-Crépin pour « vingt boisseaux de bled mesture pour leur nourriture de 5 enfants estant tous réduits à la dernière pauvreté ». Le XVIIIe siècle est une période de disettes et de guerres successives qui rendent la vie difficile à certains. Ces tireurs de meules vont s’adresser aux intermédiaires (notaires, greffiers, marchands) ; ils sont parfois contraints de donner en garantie des meules qu’ils vont tirer pour pouvoir bénéficier de prêts ou obtenir du blé, simplement pour pouvoir nourrir leur famille, et tombent ainsi sous leur coupe. 

Les inventaires après décès illustrent également les modestes conditions de vie du personnel des carrières : mauvais châlits, coffres à demi-usés, quelques pots de fonte, quelques draps d’étoupe, quelques serviettes… à côté, bien sûr, des outils de travail : pics et cordes, et pour les plus investis, une forge pour affûter leurs outils. 

Dans les actes notariés, les marchands intermédiaires apparaissent vers la fin du XVIIIe siècle. « Le 20 février 1789, Guillaume Duverneuil, carrieur habitant du village de Champredon, s’est constitué débiteur de Jean Dutet, marchand habitant au village de Limeuil… de la somme de 96 livres pour raison de vray et réel prêt ». Parmi les autres marchands ou prêteurs, on relève les noms de Millet (avocat au parlement), Saunier (notaire), Salvage (frère du prêtre de Saint-Crépin) etc. 

Ainsi marchands et nouveaux propriétaires sont aussi les « banquiers » des tireurs de meules. Une nouvelle classe s’enrichit aux dépens des producteurs de meules. Partis de haut, ils vont tomber très bas.

En guise de conclusion

Site majeur d’extraction sur la façade atlantique, les meulières de cette commune ont fondé une grande partie de son histoire, si bien que son nom même découle fort probablement de l’existence de cette industrie lithique, puisque Saint-Crépin et Saint-Crépinien sont protecteurs des meuliers, comme l’attestent plusieurs vitraux d’église en France et en Espagne, dans lesquels on voit ces deux saints et leur palme du martyre avec une meule de moulin à leurs pieds, attestant leur supplice par noyade avec une meule de moulin attachée à leur cou après qu’ils aient été suppliciés aussi avec des aiguilles de cordonnier enfoncées sous leurs ongles.

Maurice Cestac

Contacts :  maurice.cestac@wanadoo.fr

chscipion@gmail.com

 

 

Bibliographie : 

– Alain Belmont : La Pierre à Pain Tomes 1 et 2. Les carrières de meules de moulins en France du Moyen Âge à la révolution industrielle. Grenoble, Presses Universitaires ; 

Alain Belmont, Maurice Cestac : Archives ouvertes sur les meulières de Saint-Crépin-de Richemont, 

François Boyer : Carrières de meules de Saint-Crépin-de-Richemont prospection thématique. Rapport SRA Aquitaine – Bordeaux (2018)

Maurice Cestac et Alain Belmont : Les tailleries de meules de Saint-Crépin-de Richemont ; document publié par l’Association meulières de Saint-Crépin-de-Richemont (2013).

Maurice Cestac : Saint-Crépin-de-Richemont au fil du temps. Édition de l’auteur. 2006

– André Guillin : Le Bassin meulier de Saint-Crépin-de-Richemont. In O. Buchsenschutz, L. Jaccotey et alii.

– Raphaël Rivaud-Labarre : Rapport d’opération sondage et prospection Carrière des Brageaux II. Ausonius, Janvier 2021 et Mars 2022.  

Catégories : Histoire

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