L’exemple des associations des amis des moulins
Cette communication a pour but de montrer les origines du mouvement associatif qui a conduit à la prise en compte du patrimoine industriel à travers les moulins à vent et à eau. Dans la première partie : dans quelles circonstances s’est développée cette prise de conscience, dans la deuxième partie : comment le mouvement associatif s’est constitué et son rôle d’acteur au fil des ans.
La sauvegarde des moulins à vent, naissance d’une prise de conscience
C’est à un peintre graveur américain que l’on doit cette prise de conscience : Herman Armour Webster. Né en 1878 à New-York, il entra en 1904 à l’école des beaux-arts de Paris. Il y étudie la peinture et la gravure. Engagé volontaire dans l’armée française en 1914, il est attiré, dès 1915, par quelques magnifiques moulins à vent des plaines du Nord. En 1924, il achète une voiture Willys Knight décapotable et, pour la rôder, se met à parcourir les campagnes françaises en quête de moulins à vent. Il dessine et photographie avec un Leica 24×36. Son travail méthodique, appuyé sur les cartes d’état-major au 1/80.000e va vite porter ses fruits. En 1927, sept de ses aquarelles illustrent le premier grand article de presse consacré à la sauvegarde des moulins à vent. François Monod, auteur du texte, développe l’urgence qu’il y a à sauvegarder ce patrimoine unique, si caractéristique de nos régions. L’hebdomadaire L’illustration présente cette contribution dans son numéro 4425 du 24 décembre 1927.
En septembre 1928, Webster donne l’impulsion initiale pour la création de la Société des Amis des Vieux Moulins, il en fut le vice-président, le président étant le Docteur Paul Hélot de Rouen, le siège social étant établi à Saint Valéry en Caux. L’objet de l’association était de « protéger les moulins à vent de France dans un intérêt pittoresque, historique, technique et touristique ».
Cette association nationale est donc la première association de sauvegarde concernant le patrimoine industriel.
Le mensuel La vie à la campagne du 1 juillet 1931 consacre un important article à l’association (6 pages dont la première de couverture, illustré de 18 photos) avec pour titre « Sauvons les vieux moulins ». Parmi ses premières actions, notons l’achat du moulin Duponchelle à Arrest (Somme) et les démarches pour la sauvegarde du moulin de Quend (Somme). Une autre association vit le jour en octobre 1931 : le Comité de Défense des Moulins à Vent de Flandre et d’Artois.
Le 1 janvier 1933 la revue Tout partout consacre une page aux moulins sous le titre : « Moulins de l’Ouest, nous voulons vous sauver ». L’article est signé de A. Schamann, secrétaire de l’Association des Amis des Vieux Moulins de l’Ouest. Cette association, fondée en 1932 par le Dr Baudouin de Croix de Vie (Vendée) exprimait ainsi ses objectifs : « les moulins à vent doivent être préservés parce qu’ils font partie des sites à conserver intacts : parce qu’ils constituent un décor à la nature qu’on ne verra plus jamais, l’homme dans la rue se désintéressant de l’art. On ne construira plus de nouveaux moulins”. Il poursuit : « Nous souhaitons qu’on remette des ailes aux vieux moulins qui n’en n’ont plus, parce que le fisc a obligé leurs propriètaires, sans raison, à les couper ! Nous souhaitons qu’ils revivent, ne serait-ce que pour tourner à vide, pour le plaisir des yeux…« . Il conclut : « Plus nous aurons une caisse solide, plus nous pourrons entreprendre de reconstruction de moulins« .
Si Webster quitte l’association et démissionne de son poste de vice-président, il continua son oeuvre inlassablement. Dans un superbe article publié dans L’illustration du 2 octobre 1937 n° 4935, il lança un appel pathétique. L’article s’intitule « La grande détresse de nos moulins ». Il est illustré de onze aquarelles en couleur, représentant des moulins français. Il s’explique ainsi : « La rapidité avec laquelle les vieux moulins disparaissent de la terre de France justifie amplement aujourd’hui tout effort qu’on peut faire pour les sauver de l’anéantissement total qui les menace depuis la guerre… ». Il continue : « Car, de tous les pays d’Europe, c’est la France qui possède, sinon le plus grand nombre, au moins et bien certainement la plus extraordinaire variété de types connus parmi les moulins à vent ». Il plaide pour que les meuniers soient considérés comme artisans. Son appel est resté sans effet immédiat, et à la veille du deuxième conflit mondial, le mouvement associatif de sauvegarde des moulins s’essouffle.
Des années 60 à nos jours. Renaissance du mouvement associatif et valorisation des moulins
En 1965, une association internationale est créée, la Société Molinologique Internationale (TIMS, The International Molinological Society), et l’Association Française des Amis des Moulins (AFAM) voit le jour sous l’égide de George-Henri Rivière, fondateur du Musée National des Arts et Traditions Populaires (ATP). Cette dernière va préparer le terrain aux associations que nous connaissons aujourd’hui.
En effet, en 1973 est créée l’Association Régional des Amis des Moulins du Nord-Pas-de-Calais. Ses axes d’intervention sont l’étude, la sauvegarde et la restauration des moulins à vent et à eau. Cette toute première association compte vingt-deux moulins inscrits ou classés monuments historiques. En vingt-cinq ans, quarante moulins ont été restaurés, modifiant de manière profonde l’identité de la région. Les chantiers menés par l’association ont reçu un appui très fort des services de l’Etat, de la Région, du Département, des Communes. Les moulins sont la fierté du Pas-de-Calais.
Dans le Val de Loire, c’est un architecte des Bâtiments de France qui va déclencher la naissance d’une association départementale. Dans les années 50, Henri Henguehard constate le triste abandon des moulins à vent. En 1960, une circulaire du Ministère de la Culture demande à ce que, dans chaque département, un recensement complet des moulins à vent soit réalisé. En 1964, M. Henguehard dépose au ministère quarante-huit dossiers et demande à ce que ces moulins puissent être protégés comme monuments historiques. Ce n’est qu’en 1973 qu’il apprend que trente-quatre moulins à vent ont été retenus. Quelques années plus tard, en 1975, il fonde l’Association des Amis des Moulins d’Anjou. L’objectif est alors de redonner vie à cent moulins du département du Maine et Loire. Vingt-trois ans plus tard, trente-quatre moulins ont été sauvegardés, dont vingt remis au vent ou en eau.
En Beauce, Charles-Marcel Robillard organise à Chartres en 1960 une exposition racontant « la belle histoire des moulins à vent ». L’année suivante André Gaucheron et Marie de Palhen fondent l’Association des Meuniers d’Ymonville. Le mouvement est initié. Des communes et des associations vont alors acheter des moulins pour les restaurer. En 1977, les amis des moulins fondent l’Association Régionale des Amis des Moulins de Beauce. Si l’ARAM Beauce s’intéresse en priorité aux moulins à vent : « c’est parce qu’ils sont rares, menacés, très anciens émouvants et très beaux. Cependant l’association recense et étudie aussi les moulins à eau en Beauce ou sur les rivières qui l’entourent ». Ainsi s’exprimait Gérard Gailly, alors président de l’association. Onze ans après sa fondation, le travail effectué est largement reconnu par le Conseil Général d’Eure-et-Loire.
Durant les années 75-90, les associations pionnières se préoccupèrent de faire protéger les sites les plus remarquables et les plus menacés. Après avoir porté leur attention sur les moulins à vent les plus fragiles, les associations s’intéressèrent de près aux moulins à eau. Dans leurs démarches, les premières associations furent appuyées par des élus départementaux et régionaux, qui permirent la réhabilitation du patrimoine des moulins, notamment par leurs aides financières. Aujourd’hui ces moulins doivent trouver une seconde vie. N’oublions pas que le moulin est un bâtiment machine, qu’il s’use, qu’il vieillit. Il est donc nécessaire d’intégrer ces éléments dans des itinéraires de découvertes et leur permettre d’assurer eux-mêmes (au moins partiellement) des revenus pour s’auto-entretenir. Pour cela ils doivent disposer d’animateurs de qualité.
A partir de 1981, un mouvement interne va donner naissance à de nouvelles associations régionales : la Bretagne, le Quercy, la Provence, le Midi Toulousain, le Grand Sud-Ouest… Des associations départementales et locales se créent également un peu partout .
Les moulins à eau et/ou usines hydrauliques : filatures, papeteries, huileries, martinets, coutelleries, forges etc. , sont à la rencontre du monde industriel et des forces de la nature. Les associations doivent donc maintenant défendre les moulins comme utilisateurs millénaires des cours d’eau. En effet, ils rencontrent de nombreux problèmes, pollution des eaux, non-entretien des berges, et la monopolisation du discours sur l’eau par les associations de pêche. L’eau énergie a été depuis cinquante ans évacuée des préoccupations nationales.
Depuis vingt-cinq ans, les associations ont donné une part prépondérante à la restauration des moulins à grains, mais cette tendance a été atténuée par de nouvelles expériences. En effet en Angoumois, l’association Patrimoine et Traditions, a opté pour la valorisation des moulins à huile de noix, avec succès. Les Communautés de Communes de la vallée du Bandiat-Tardoire continuent le travail amorcé, entretiennent et font vivre trois moulins.
De façon isolée, certains sites très spécialisés ont pu maintenir des activités traditionnelles : ainsi, en Auvergne, le moulin à papier Richard-de-Bas, de réputation mondiale. Son exemple a permis la sauvegarde d’un métier et d’autres papeterie se sont réveillées en France, avec le concours d’associations d’amis des moulins, qui jusque là n’existaient pas dans les régions concernées. Ces moulins à papier sont sur un marché étroit et leur valorisation économique très ciblée : il ne peut y en avoir partout. De par leur situation en milieu rural ou en milieu urbain (en pleine mutation économique), ces moulins très spécialisés sont de plus en plus intégrés dans la réflexion relative à ce que l’on appelle aujourd’hui « le développement local ».
Le 24 mars 2002, vingt associations régionales et départementales se regroupent au sein de La Fédération Des Moulins de France (FDMF) suite à une scission au sein de l’organisation fédérale de l’époque. Cette toute nouvelle Fédération reçoit le soutien des trois présidents d’honneur qui oeuvraient depuis 1965, et se consacre résolument à la valorisation et à la sauvegarde des moulins.
Ces associations de patrimoine sont alors amenées à construire des projets avec les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale, les Parcs Naturels Régionaux, les communes, etc. De nos jours, les programmes européens doivent être des outils à ne pas négliger. Enfin les moulins, peuvent jouer leur rôle dans la création d’emplois et offrir un élément supplémentaire dans l’élaboration des programmes touristiques de qualité avec des visites pédagogiques.
D’après un texte de Jean Pierre Azéma.
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