Auteur : Adrien Gombeaud
Cette rivière secrète qui coule sous les pavés de Paris. De la Bièvre ne subsistent aujourd’hui qu’un nom de rue et le souvenir lointain d’un ru fangeux. Un livre lui rend l’hommage qu’elle mérite.
Dans le 13e arrondissement de Paris, des plaques de bronze indiquent, par endroits, son ancien cours. Mais peu de passants y prêtent attention. Recouverte d’une chape de béton en 1912, la Bièvre a sombré dans l’oubli. Le cours d’eau qui prend sa source à Guyancourt, dans les Yvelines, n’est pas totalement mort, bien qu’il ait été enterré. Ne subsiste plus de lui qu’un nom de rue, où vécut François Mitterrand, proche de la Seine, où ce ruisseau invisible continue de se jeter. Reste aussi le souvenir lointain d’un ru industrieux. Adrien Gombeaud redonne aujourd’hui vie à la Bièvre en lui consacrant un livre somptueux, en forme de balade.
« Au début du XXe siècle, c’était encore un filet d’eau qui serpentait au sud de la capitale. Tombée des campagnes et des étangs de Saint-Quentin, la Bièvre (…) était une rivière de labeur, elle faisait tourner les moulins, recueillait les déchets des abattoirs, des tanneurs, des teinturiers, des blanchisseurs. Son débit était modeste, pourtant il lui arrivait de se révolter. Ses crues terribles inondaient (…) les caves d’eaux toxiques et puantes. Aujourd’hui fondue dans les sous-sols, elle est le membre fantôme d’une ville amputée », écrit-il en préambule d’un livre qu’il faudrait lire en marchant sur les traces de son auteur.
Une rivière inspirante
Amoureux de cette rivière, «entrée dans la mythologie de la capitale» au moment où on l’enfouissait, Adrien Gombeaud a passé tout un été à arpenter son ancien tracé. Grand marcheur, cet écrivain-voyageur, à qui l’on doit de formidables livres sur la Chine qu’il a sillonnée de long en large pendant plusieurs années, signe là une évocation poétique d’un monument disparu, comme un émouvant mausolée dédié à un être regretté. Sur le modèle de Jean-Paul Kauffmann qui avait déambulé le long de la Marne en 2013 et en avait tiré un délicieux récit (publié par Fayard), Adrien Gombeaud a d’abord plongé dans les livres qui évoquent ce cours d’eau. Car la Bièvre, qui traversait les villes d’Antony, Cachan, Arcueil et Gentilly avant d’entrer dans Paris, n’a cessé, malgré son aspect repoussant d’égout à ciel ouvert, d’inspirer les écrivains.
De Rabelais à Musset, de Ronsard à Victor Hugo, en passant par Huysmans, on ne compte plus les auteurs qui ont célébré cette rivière, hier indomptable et désormais emmurée (elle est canalisée de sa source jusqu’à son embouchure, au pied de la gare d’Austerlitz). À dire vrai, cette rivière n’a pas seulement marqué la littérature. Elle a aussi laissé une empreinte forte en peinture. On la retrouve dans plusieurs tableaux de Turner, Matisse, Marquet et Utrillo. Elle a aussi été photographiée par Eugène Atget, Nadar ou encore Robert Doisneau. Adrien Gombeaud nous apprend à quel point elle marqua le musicien Erik Satie qui vécut, à proximité de son cours, les 28 dernières années de sa vie.
Les fantômes du passé
Ce livre n’est pas pour autant un livre d’histoire. Car Adrien Gombeaud ne se contente pas d’évoquer seulement le passé. Amateur de patrimoine, certes, il prend aussi plaisir à décrire ce que sont devenus ces anciens «hauts lieux de la chiffonnerie». Ces quartiers où travaillaient jadis lavandières, teinturiers et tanneurs (mégissiers, corroyeurs et baudroyeurs) se sont profondément transformés. Ils sont désormais fréquentés par une population mélangée où se croisent jeunes désœuvrés, bobos désargentés, mais aussi jeunes cadres pressés. En fin observateur, Adrien Gombeaud décrit, avec humour, sur le ton d’un anthropologue en terre étrangère, les peuplades qu’il rencontre au fil de son voyage.
Bordé de lavoirs, le cours de la Bièvre a vite été pollué au début du XXe siècle par les tanneries et autres peausseries qui s’étaient installées d’Antony à Gentilly.
Rappelant que ces nouveaux « spots branchés » sont posés sur un ancien cloaque, l’auteur fait découvrir la raison pour laquelle certains d’entre eux conservent une atmosphère spéciale, à l’instar de la Butte aux Cailles ou des abords de la rue Mouffetard. C’est qu’ils sont habités par «l’esprit des lieux». Et, peut-être, hantés par des fantômes. Ceux des ouvriers qui découpaient la rivière gelée dans le quartier de la glacière… Celui de Bibi la Purée, clochard, ami de Verlaine, qui vagabondait entre Arcueil et Paris. Celui de cet ermite anonyme qui vivait quasi nu sur un petit îlot, aujourd’hui recouvert par le boulevard Arago. Ou encore celui d’Aimée Millot, jeune bergère d’Ivry qui fut assassinée au bord de l’eau, à l’emplacement de l’actuelle rue Croulebarde, un jour de mai 1826.
Résurrection ?
Au fil de ses promenades, Adrien Gombeaud nous en apprend long sur l’histoire de la capitale, l’air de rien… Évocation mélancolique d’un Paris enfui, autant que de la Bièvre enfouie, son livre n’a rien de nostalgique pour autant. Il se clôt même sur une note optimiste : la conviction profonde « qu’un jour, (…) sous une forme ou une autre, la Bièvre débordera à nouveau dans les rues de Paris. »
N’évoque-t-on pas depuis plusieurs décennies qu’il faut la « libérer » de sa coque de béton ? Le cours d’eau ne revit-il pas déjà du côté d’Antony où des clubs de pêche ont été créés dans des bassins alimentés de son eau ? «On y a même réintroduit les écrevisses qui régalaient autrefois la Maintenon. Il n’est peut-être pas trop tard pour réparer ce que l’on a brisé et retrouver des éclats de paysages qui n’existent plus que dans les livres», veut croire Adrien Gombeaud.
Editeur : 140
Date de publication : 978-2955673928
ISBN : Warm Editions
1 commentaire
Katharina von Saalfeld · 30 janvier 2020 à 13 h 49 min
En 1912 on l’a enterrée – même année que le Titanic a coulé. On croyait fort en tout progrès technique.
Au-dessous de beaucoup de villes il y a ces « enterrés vivants », des sources, des mares, des rivières …
Aujourd’hui on se rend compte, où le « progrès » irréfléchi nous mène. Le réchauffement climatique rend la protection de l’eau de plus en plus urgente.
En terre c’est autour des eaux douces que se crée la plus grande diversité des espèces, souvent menacés à cause de la suppression de ces habitats aquatiques.
J’apprécie beaucoup l’idée de la « réhabilitation » de la Bièvre, ne soit ça que sur 2 km, et pas comme égout.
Je soutiendrai tout projet dans ce sens. Je suis peintre et aussi spécialiséé dans la création de mares.
Salutations cordiales de Katharina von Saalfeld !