Le site des Moulins de France
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Lors d’une visite au moulin à vent de Saint-Lys, Mme Costes, arrière-petite-fille de Jules Dupoux, charpentier de moulins à Castillon- Savès (Gers), a eu l’amabilité de nous prêter le livre de comptes de ce dernier. Ce charpentier était lui-même fils d’un charpentier- laboureur. Il s’agit du registre des 167 factures établies du premier jour des travaux, le 21 avril 1868, au dernier, le 4 février 1892. Pendant ces 24 années, le charpentier a travaillé pour 36 meuniers. Il a réparé 23 moulins à vent et 8 moulins à eau fariniers, ainsi qu’un moulin à foulon sur la Save (affluent de la Garonne) et un moulin à vent à huile, à Auradé. Ce document paraissait intéressant car il permettait de répondre à quelques questions telles que la zone concernée, la nature et la durée des travaux, le rythme des réparations, le nombre de jours d’activité, l’évolution des prix, ainsi que le signal du déclin des moulins. Dans la revue du Monde des Moulins (octobre 2010 – n°34 p.22), on avait déjà décrit les travaux de construction d’un moulin à vent grâce à un devis de 1801. L’analyse sommaire de ce cahier de comptes complète les nombreux ouvrages sur les moulins et les meuniers qui ont abordé le travail des charpentiers, où on avait rencontré des difficultés à trouver la signification de certains termes, pourtant écrits en français, difficultés que l’on retrouve parfois encore ici.

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Extrait de la carte Michelin n°82.

Jusqu’où allait le charpentier ?
Autour de Castillon, Jules Dupoux a travaillé dans 28 villages, dans un rayon de 15 à 17 km. C’est autour de la vallée de la Save, entre l’Isle- Jourdain et Samatan, que se situent la plupart de ces moulins. Cette distance peut se parcourir aisément à pied ou en voiture à cheval. Il n’est jamais intervenu en dehors de ce périmètre. On peut imaginer que chaque charpentier travaillait et restait dans son voisinage. La carte de Cassini mentionne ces moulins dans la quasi totalité de ces villages. Il y a eu quelques nouveaux moulins, comme à Auradé où, en plus des deux moulins à eau anciens, le charpentier a spécifié l’existence de deux moulins à vent neufs. Les moulins à eau se situaient sur la Save à Samatan, Cazaux-Saves, Marestaing, Nizas, l’Isle-Jourdain et Larmont, ou sur un affluent de la Save, la Boulouze : les deux moulins d’Auradé.

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Moulin du Savès à Monferran-Savès autrefois. Cartes postales de C.Thore.

Nature et durée des travaux
La voilure des moulins à vent : c’est la partie la plus fragile que l’on répare souvent. Par exemple, pour le moulin de Bézéril, en avril 1883, on coupe les chênes le 9, on équarrit la verge le 10 et 11, on ajuste le 12, on troue le 19, on prépare les barreaux le 23, on finit de trouer la verge le 24, on monte le toit le 25 et on garnit avec les voiles le 26. En moyenne, cela prend 6 jours. Remplacer l’arbre prenait en moyenne 12 jours (7 à 14) : couper le chêne, l’équarrir, le charger, le préparer, le trouer, faire et mettre les colliers, descendre le vieil arbre et son rouet, remonter l’arbre et le rouet neufs. Faire le rouet prenait 17 jours ; 5 pour les alluchons à fixer ; 4 pour la lanterne avec ses barreaux. Les bois utilisés directement après abattage étaient le chêne pour l’arbre et toutes les poutres, l’ormeau pour le rouet, le buis pour les barreaux de la lanterne, et le cormier (sorbier domestique) pour les alluchons. Réparer l’arbre en remplaçant les coussinets et les colliers pouvait prendre six journées. Remplacer les barreaux des ailes et les voiles exigeait en moyenne 2 jours. 

Le toit et sa rotation sont un souci constant pour les moulins à vent. En 1871, il a fallu refaire toute la toiture au moulin de St Soulan. Cela a pris 25 jours en octobre avec 2 personnes, soit 50 journées, pose des bardeaux comprise. Pour la queue, que le charpentier a remplacée 5 fois sur des moulins différents, cela demandait 4 jours en moyenne, depuis la coupe des chênes jusqu’à la fixation. La sablière était réparée en 2 jours et le cabestan (ici appelé aussi « martinet ») en 1 ou 2 jours. L’entretien ou le remplacement des meules représente une lourde charge qu’assume aussi le charpentier. On le voit 15 fois en action. Le piquage prend 4 jours en moyenne (2 à 6) et le rayonnage et le « gravage » de l’anille (encastrement de l’anille dans la meule) 2 jours. Le temps passé au remplacement des accessoires de la meule, trémie, auget, babillard, caisse à farine, n’est pas négligeable (8 jours).

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Moulin à vent de Monbrun-Savès. Photo JC. Capot.

La partie fragile des moulins à eau est évidemment la roue horizontale et ses accessoires. Ainsi, en février 1889, il a refait entièrement le système hydraulique d’un moulin sur la Boulouse : chercher les ormeaux pour le rouet et les couper, fabriquer les cuillères (cinq jours), faire le rouet, l’arrondir, le ferrer et le poser (quatre jours). Le charpentier l’a effectué 6 fois dans plusieurs moulins. Le temps moyen est de neuf jours pour refaire le rouet et ses accessoires d’arrivée d’eau et de trempure. Il faut aussi entretenir la chaussée. Il y a participé à raison de trois jours par intervention pour replacer les piquets et les « garnures ».

Le rythme des réparations
Les gros travaux peuvent durer plus d’un mois en continu. Il est probable que le charpentier est hébergé chez son client pendant la semaine. Il intervient aussi pour de petites opérations d’un ou deux jours : réparer l’arbre, la girouette, les voiles, le cabestan, fixer l’anille dans l’oeillard, remplacer des dents et des barreaux, aménager les abords et la digue. Il a également construit 3 hangars. Ces travaux étaient cumulatifs chez ses clients fidèles, atteignant plusieurs dizaines de journées d’entretien. Il travaillait surtout en automne et en moyenne une cinquantaine de journées par an. Les ailes étaient fragiles et devaient être changées assez souvent. Au moulin de Bézéril par exemple, sur une période de 15 ans, 5 verges en chêne avec leurs barreaux et leurs voiles (garnitures) ont été remplacées dont une, suite à une cassure résultant sans doute d’une tempête.

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Linteau du moulin de Catonvielle. Photo M.Sicard.

Les alluchons (ici appelés aussi « peignes ») ont été changés en 1872, 79 et 82. Une lanterne a été refaite en 1871, 72 et 79. Le remplacement des engrenages sur 7 ans provient sans doute de l’usure, alors que celui sur 2 années successives suggère un problème autre. En ce qui concerne les meules des petits moulins, il en a rhabillé 17 (piquage, rayonnage, martelage), jamais la même, ce qui suggère un assez long délai entre deux rhabillages. Ce n’est pas surprenant car ces moulins à vent de village avaient un faible potentiel de mouture, selon l’inventaire napoléonien, et un manque de vent ne leur permettait de fonctionner qu’un jour sur cinq, selon la même source. Sur la fin de sa carrière, faute de petits moulins actifs, il a travaillé à l’Isle-Jourdain dans la puissante usine pour le rhabillage de 15 meules en moins de cinq ans. Cette usine, au nombre de meules non précisées, deviendra une minoterie pendant près d’un siècle ; elle est maintenant abandonnée. 

Le moulin à vent d’Ambroise Tourneur, presseur d’huile à Auradé, a été rénové en 11 jours, en 1870. On peut supposer qu’il écrasait des graines de lin comme c’était le
cas à Saint-Lys au début du XIXe. Cette huile servait surtout à l’éclairage. Mais il n’est pas exclu que  d’autres graines oléagineuses alimentaient ce moulin telles l’oeillette, le chanvre, le colza… 

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Moulin à eau de Nizas. Photo M.Sicard

L’évolution des prix à la journée
Il a lentement évolué de 1,50 francs en 1868 à 2 francs vers 1873, puis 2,50 francs. On observe de légères fluctuations dépendant du client et de la nature du travail. Par exemple, il prenait plus cher pour le piquage d’une meule. On note aussi un surcoût pour le moulin de Bézéril de Mlle Theulade qui semblait une riche propriétaire ayant un régisseur pour son domaine.

Gros et petits clients
Le charpentier est peu intervenu sur 6 moulins, totalisant moins d’une douzaine de journées cumulées sur 1 an ou 2. La grande majorité, une vingtaine, appartiennent à de
fidèles clients et nécessitent des travaux régulièrement, avec 20 à 70 journées. Cinq moulins ont demandé plus de 100 journées, pour des raisons variées : Auradé 244, Bézéril 146, Saint-Soulan 111, L’Isle-Jourdain et Endoufielle 108. Jules Dupoux a travaillé aux moulins d’Auradé , deux moulins à eau et un moulin à vent, de 1868 à 1889, soit presque toute la durée de son activité, comme pour celui de Bézéril. Par contre, sa présence à l’Isle-Jourdain s’est concentrée sur 4 années seulement, de 1885 à 1889. Il était chargé de l’entretien des nombreuses meules de cette usine.

Le moulin à foulon
Jules Dupoux a travaillé sur le moulin à foulon de Samatan, sur la Save, chez Mme Veuve Troyes. De novembre 1874 à février 1875, il a passé 45 journées pour le restaurer. À partir de chênes qu’il a abattus, il a fabriqué les marteaux, la grande roue, les cames et divers autres éléments tels que sabots, jerbelles, gouttières, pales, etc… Il est intéressant de noter que les arbres étaient abattus et utilisés immédiatement, contrairement à de fréquentes affirmations. Il a fallu un mois et demi à deux personnes pour refaire entièrement ce moulin pendant l’hiver 1874-75.

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Moulin à eau de Larmont. Photo JC. Capot.

Sur les traces du charpentier
Dans un paysage vallonné, aux champs parfaitement cultivés, avec en fond une vue sur les montagnes pyrénéennes, nous avons sillonné le coeur de la Gascogne. Nous nous sommes rendus dans une vingtaine de communes où il a travaillé et dont les moulins figurent sur la carte de Cassini. Nous avons rencontré des personnes qui ont bien voulu nous renseigner sur ces moulins. L’accueil a toujours été cordial. 

La plupart des moulins à vent ont disparu même de la mémoire des anciens. Nous n’avons trouvé que huit vestiges. Le moulin le mieux conservé est celui du château de
Monbrun -Savès dont il reste en place les meules et l’arbre. Un autre porte encore les meules. Une tour est transformée en habitation et par ailleurs on a relevé deux dates, 1750 et 1763. Par contre la plupart des moulins à eau subsistent, certains en ruine, d’autres aménagés en résidence (Moulin de Larmont) ou pour l’un d’eux équipé
de microcentrale à l’arrêt.

Le cahier de comptes de Jules Dupoux illustre le rythme de travail d’un charpentier de moulin, artisan indispensable à la fin du XIXe. Ses activités ont augmenté depuis
son installation en 1868, ont décru à partir de 1876 et se sont terminées, faute de moulin en fonction, vers les années 1890.

Nous remercions vivement Mme Costes pour nous avoir confié le livre de comptes de son aïeul, Jean-Claude et Michèle Capot pour leur participation à la tournée, Jean Lacroix, maire de Castillon, Marie-Christine Lahille,secrétaire de mairie de Monferran-Savès, Camille Thore et les habitants des villages parcourus, pour leur coopération.

Michel et Nicole Sicard – Paru dans Le Monde des Moulins n°47 – Janvier 2014

Catégories : Histoire

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