Le site des Moulins de France
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Il est bien connu, grâce en partie à l’enquête impériale de 1809, que le nombre de moulins à vent a atteint son maximum au XIXe siècle après la formidable expansion du XVIIIe siècle. Puis, le déclin venu, avec l’arrivée des nouveaux moteurs mis en oeuvre
dans les minoteries, nos paysages restèrent marqués par la présence de ces innombrables « tonnelles » à l’abandon. Leur sort varie d’une région à l’autre.

0415reutilisation1Photo 1. Ancien moulin devenu tour de télégraphe à La Réole. Photo Alain Floriant

Une des premières raisons de leur démolition est liée à l’entretien des chemins vicinaux, à la charge des communes. Régi par une loi de 1836 sur les prestations en nature (héritières des anciennes corvées royales) qui perdura jusqu’au XXe siècle, cet entretien nécessitait l’acquisition de matériaux, et notamment des pierres, si possible localement, en raison des difficultés de transport. Dès la fin du XIXe siècle, dans plusieurs endroits, la présence de ces tonnelles inutiles permit de pourvoir aux besoins en démolissant systématiquement les tours de moulins. Ainsi à Saint- Germain-de-Vibrac (Charente-Maritime), un paysan pauvre s’improvisa-t-il entrepreneur de démolition, rasant cinq des sept moulins de la « Colline de Chaillot ». Certains quartiers de meules furent même mis à jour sur des chemins de la commune à une date récente.

Il n’est pas rare d’évoquer une autre utilisation des tonnelles qui serait leur transformation en sémaphores pour le télégraphe aérien, inventé par Claude Chappe en 1794. Positionnées sur les hauteurs, à vue les unes des autres, les tours du télégraphe, de formes diverses, côtoyaient les moulins à vent plus qu’elles ne les utilisaient. En effet, leur construction s’effectua au XIXe siècle, alors que la plupart des moulins à vent fonctionnaient encore. Il a pu arriver qu’une tonnelle désaffectée soit transformée en sémaphore, mais cela a dû être rare. On connaît cependant le cas des moulins de La Réole (Photo 1) et de Capiani (Gironde). Il est à remarquer que dans le Lot-et- Garonne notamment, les Amis des Moulins essaient d’attirer l’attention sur ce patrimoine rare que sont les tours Chappe, si proches des moulins à vent qui furent, à n’en pas douter, les inspirateurs du télégraphe optique (Une « Journée nationale Chappe exceptionnelle » a été organisée par le Conseil Général du Lot-et-Garonne et l’Association des Amis des Moulins du département, le 1er juin 2014 à Agen).

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Photo 2. Ancien Moulin à vent d’Archiac (17). Photo Alain Floriant

Une autre manière de réhabiliter les tours de moulins fut en quelque sorte de les anoblir en leur donnant l’allure de tours de fortification. Cette mode, dont on connaît quelques exemples en Charente-Maritime, s’explique par le goût pour l’histoire né pendant la Révolution, et qui s’est répandu pendant tout le XIXe siècle, voire audelà.
On appréciait alors tout ce qui rappelait le Moyen-Âge (après avoir goûté le néo-classique), celui des temps romans et surtout gothiques, courant porté par le mouvement romantique. Sous le règne de  Napoléon III en particulier, les restaurations de grande envergure parfois, comme à Carcassonne ou à Pierrefonds (près de Compiègne), se multiplient grâce à des architectes comme Viollet-le-Duc ou son disciple Abadie. L’écrivain Prosper Mérimée, Inspecteur des Monuments Historiques, encourage le sauvetage de monuments menacés, comme l’Arc de Triomphe de Saintes. Victor Hugo écrit « Notre-Dame de Paris », et le goût pour les ruines, venu d’Angleterre, gagne les gens « éclairés », qui veulent de nouveau (cela avait existé au XVIIIe siècle) construire une « folie » (fausse ruine de château, de pont…) dans leurs parcs. À Rochefort (Charente-Maritime), Pierre Loti, dans sa maison, ne manque pas de se faire aménager une salle à manger gothique, avec tout l’attirail de l’époque, pour jouer « au gentilhomme » avec ses invités, déguisements compris. Le mouvement est lancé et l’on pourrait multiplier les exemples de ce nouvel engouement pour l’histoire.

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Photo 3. Ancien Moulin des « Justices » à Pons (17). Photo Alain Floriant

Quelle est la place des moulins à vent dans ce désir de revivre le passé ? Elle est modeste certes et concerne évidemment la campagne, mais elle est significative. Certains propriétaires aisés se disent que ces tonnelles, abandonnées parfois dès la fin du XIXe siècle, ont comme une allure de tour médiévale, et qu’il suffirait de quelques embellissements pour qu’ils aient eux aussi leur « folie ». À Archiac (Charente-Maritime), M. Dumontet, heureux possesseur de l’emplacement de l’ancien château fort autrefois vendu comme bien national, possède sur ce site une tonnelle d’ancien moulin à vent aussitôt transformée en tour gothique, avec créneaux , merlons, mâchicoulis et bretèche au-dessus de la porte. (Photo 2) À deux pas du bourg, il peut presque jouer au châtelain. À Pons (Charente-Maritime), le  très fortuné M. William Augereau possède le Moulin des Egreteaux qu’il transforme en une belle tour Renaissance, en harmonie avec le château d’Usson qu’il vient de faire construire à peu de distance de là. À Pons encore, le Moulin « des Justices » (Photo 3) se couronne de merlons avant de recevoir, posée sur le dôme qui lui sert de toiture, une statue du Sacré Coeur dont le culte est en plein essor vers 1900. À Arès, sur le bassin d’Arcachon, un moulin appartenant au château et désaffecté en 1882, est transformé en une pseudo-tour de défense par Émile Borduron, avec la permission de la châtelaine. (Photo 4) Là, on a voulu faire croire à un reste de fortification. Plus étonnante est la tour d’Asclès à Saint- Lizier-du-Planté (Gers), où une tonnelle du XVe siècle est transformée en tour crénelée, en 1973, par un artiste graveur.

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Photo 4. Ancien moulin proche du Château d’Usson. Photo Alain Floriant

De son côté, l’Église catholique, si présente dans la société du XIXe siècle après sa réorganisation consécutive au Concordat de 1801 et dans son désir de reconquête des territoires, relance la construction de lieux de culte et encourage la renaissance des pèlerinages locaux. De nouvelles chapelles apparaissent, des restaurations sont lancées, toutes dans ce style néo-gothique cher à cette époque. L’élan durera jusqu’au XXe siècle. C’est dans ce contexte aussi que des tours de moulins seront transformées en chapelles, comme à Saint-Laurent-en-Grandvaux (Jura) en 1850, à Allaire (Morbihan) (Photo 5), à Penvénan (Côtes-d’Armor), à Sermérieu (Isère), où l’on installe Notre-Dame du Moulin à vent sur le Moulin d’Ossée, et même à la Guadeloupe où le moulin de l’habitation de la Mahandière, destiné à écraser la canne à sucre, changera de fonction. Bien d’autres exemples pourraient être cités, sans doute.

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Photo 5. Allaire : Ancien moulin devenu chapelle. Photo Alain Floriant

L’imagination des hommes n’ayant pas de limites, on pourrait évoquer tel moulin devenu château d’eau, comme à Gragnague (Haute-Garonne), ou bien inversement tel pigeonnier devenu moulin à Purpan (Haute-Garonne), et encore telle tour de guet du château de Beaurevoir (Aisne), réaffectée aussi en moulin.
Aujourd’hui, certains ont vu, dans l’aménagement en habitation d’un moulin à vent, une forme de retour à la nature et aux traditions. C’est en tout cas une façon de sauver parfois un site en perdition.

Enfin, comment ne pas évoquer la reconversion de nos moulins à vent en aérogénérateurs, encouragée par la FDMF depuis la réunion nationale de 2010, organisée en Bretagne à Petit-Mars. L’expérience du Grand Moulin des Places, au milieu des pépinières du Val d’Erdre à Saint- Mars-du-Désert, est emblématique de cette nouvelle destination possible de nos moulins à vent. Mais c’est une autre histoire qui ne fait que commencer…

Alain Floriant, vice-président ADAM17 – Article paru dans Le Monde des Moulins N°52 – Avril 2015

Catégories : Histoire

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